La Tinée

Hydrologie des rivières de la Tinée, de la Vésubie, du Paillon, de la Bévéra et de la Roya.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

La Tinée

La rivière la Tinée nait dans le territoire de Saint-Dalmas le Sauvage, et prend sa source au nord ouest au dessus du lieu appellé Bousieyes, à une fontaine permanente appellée Tinargos, d’où lui vient sons nom ; l’eau de Tinargos se dirigeant par le hameau des Prés du nord au sud, vient se joindre après une course d’une heure et demie environ, avec un autre torrent permanent appellé Gialorgues, qui passe à Saint-Dalmas même, et qui est le résultat de la réunion de deux torrens appellés l’un Gialorgues et l’autre Sestrières du nom des montagnes qui les produisent et qui roulent devant la commune de Saint-Dalmas des blocs de rochers considérables qui, joints aux bois environnans, donnent vraiment un air sauvage à ce pays.

La réunion de Gialorgues avec la Tinée se fait sous un pont hardi, en pierre, à une seule arcade, qui réunit deux escarpements très rudes et très élevés, appellés pont haut ; après l’avoir passé, le chemin se partage en deux, l’un au nord vers les Prés et Boussiéyes, et l’autre à l’ouest, à Saint-Dalmas.

Ces deux torrens, dont jusqu’ici on n’a tiré aucun parti, pourraient très bien servir, ayant tous les deux assez d’eau, 1° à transporter les billons qu’on pourrait faire dans les bois voisins, moyenant qu’on nétoyat leur lit ; 2° à arroser, l’un, les prés de Bousiéyes et l’autre ceux du vallon de Gialorges.

La Tinée accrue d’une eau aussi abondante que la sienne, s’incline du nord-est au sud-est, et coule entre deux montagnes qui en ressèrent le lit, et dont on suit les divers angles, pendant environ deux heures de marche, jusqu’à Saint-Etienne ; là elle reçoit d’abord le torrent de Rabuons, puis celui de Vins, ce dernier permanent et considérable, l’un et l’autre servant à l’arrosage ; ensuite le torrent Ardon qui prend sa source au col de Pal, moins permanent enfin, tout à fait au sud ouest de la commune, le torrent Roya, dont il conviendrait de tirer un canal d’irrigation pour les terres du quartier de Rugelle.

De Saint-Ethienne, la Tinée se dirige au sud ouest, et ne reçoit aucun autre torrent considérable et permanent, pendant environ trois lieues et demi jusqu’à son arrivée à Isola ; là, elle reçoit le torrent Guers dont la source est très rapide, à travers des rochers escarpés, prenant naissance à la montagne de Frema Morta et passant tout proche la mine de plomb que j’ai indiqué être à cette montagne. Ce torrent pourrait servir à arroser le haut du terroir de l’Isola, en en tirant un canal d’irrigation à qui on donnerait au moins une étendue de quatre heures ; ses eaux sont belles, abondantes, permanentes et toujours contenues dans leur lit qui est sur le rocher ; elles font aller deux moulins à farine, un foulon , et servent à un teinturier ; plusieurs eaux découlent des rochers voisins et sont reçus dans des canaux qui servent à arroser les prairies et jardins de la petite plaine qu’il y a à Isola.

D’Isola, la Tinée se rend à San Salvador, à quatre heures de distance ; toujours plus inclinée à l’ouest, et suivant les tortuosités sans nombre de cette horrible et étroite vallée à mi chemin, et du nord-est à l’ouest, elle reçoit un bras considérable et permanent, appellé le vallon de Molières, qui prend sa source aux montagnes de Sainte-Anne et de Vinas passe à Molières, hameau de Val de Blora, dont il fait aller le moulin à farine, traverse de belles forêts, ou il y a des mines et vient se rendre par une route oblique à la Tinée, à environ six heures de distance de son origine ; depuis là, jusqu’à San Salvador, la Tinée ne reçoit que de petits torrens entretenus par les eaux pluviales.

A San Salvador, la Tinée reçoit le torrent permanent et assez considérable, dit de Viounaine, qui prend sa source à Monnier et descend à Roubion, ou il se joint à un autre torrent appellé Les Douces ; l’un et l’autre passant à travers des forêts d’une exploitation difficile et pouvant servir à des canaux d’irrigation pour les terres de Robion et de Bora, communes sans eau, excepté ces torrens dont elles ne tirent nul parti, la Vionaine tombe à San-Salvador sans lui être d’aucune utilité, mais ce torrent pourrait servir pour des usines, si on exploitait la mine de fer, et pour un martinet. La Tinée, dont le lit est ici peu profond, donne quelques canaux d’irrigation, fait aller un moulin à farine, une scierie, et avant la guerre, un moulin à foulon qui existe encore.

Passée cette commune, la Tinée s’incline toujours plus au sud-ouest, et coulant au bas de rochers profonds et taillés a pic, sur les territoires de Riemplas et Marie du coté de l’est ; d’Ilonse, et de Tournefort du coté de l’ouest. Elle reçoit d’abord, à l’est les deux petits torrens appellés Los Adousses et Lenton, venant de la montagne de Riemplas, et qui cependant pourraient être utilisés pour des canaux qui arroseraient les terres de Riemplas, commune misérable, sans eau et sans moulins ; 2° a l’ouest, le torrent d’Ilonse, commune élevée sur un rocher aride ; ce torrent nait du col de Saint-Pons, il reçoit plusieurs eaux de source, qui traverse le territoire d’une espèce de vallon qui est sur la montagne d’Ilonse et desquelles les habitants pourraient tirer une grande utilité pour l’arrosage des terrains élevés et qui laissent perdre en grande partie ; 3° à l’est, le torrent de Valdeblora, permanent.

Après avoir passé le territoire de Marie, village qui ne jouit que des eaux pluviales, la Tinée reçoit sur le territoire de Clans plusieurs torrens dont le principal est celui de l’Argentières ; la commune de Clans, riche d’un beau et fertile territoire qu’y avait attiré, autres fois, un chapitre de chanoines, a tiré parti, soit de la Tinée, soit de l’eau des torrents pour des canaux d’irrigation, deux martinets, trois moulins à huile et à farine, et pour une tanerie jadis très occupée et dont on ne voit plus que les ruines sur le territoire de la Torre ; la Tinée reçoit un torrent permanent qui descend des hauteurs de cette commune duquel on a tiré deux canaux d’arrosement, un supérieur et l’autre inférieur ; le premier fesant mouvoir deux moulins, un à huile et l’autre à farine, ainsi qu’un martinet pour les instrumens d’agriculture. Elle reçoit encore quelques petits torrens qui n’ont de l’eau que le tems des pluies, et qui descendent des montagnes d’Utelle, puis longeant le terroir de Chaudan, hameau de cette commune, et s’inclinant un peu à l’ouest des rochers perpendiculaires, elle va se jetter dans le Var.

La Tinée parcourt un espace d’environ 12 lieues de long, durant lequel presque toujours contenue à droite et à gauche par des rochers, elle ne peut s’étendre sur les campagnes voisines, excepté dans la vallée de Saint-Etienne, où coulant au milieu des terres, elle fait beaucoup de ravages, et exigerait quelques travaux pour la contenir.

Elle peut servir et elle sert effectivement au flottage des bois dont elle est entourée, depuis son origine jusqu’au Var ; mais pour la rendre plus propre à ce service, il faut nécessairement en nétoyer le lit, rempli d’intervalle en intervalle de gros blocs de rochers qui se sont précipités des montagnes voisines ; par exemple, tout près du vallon de Molières, une montagne, en se détachant à la gauche du chemin, a comblé il y a 15 ans le lit de la Tinée, de manière que son cours a été plusieurs jours interrompu ; encore aujourd’hui, ce lit est encombré, et l’on voit tous les billons arrêtés par des blocs de pierres qu’on n’a pas minés ; il en résulte que le flottage ne peut avoir lieu que dans le tems des grosses crues, au lieu que la Tinée aurait assez d’eau pour le permettre en tout temps, si son lit était décombré.

Il y a 5 ponts sur cette rivière, indispensables pour les communications des communes et pour le commerce. Le premier est entre Roussillon, hameau de la Torre et Tornefort, en pierre et en bon état ; le second à San-Salvador, en pierre et en bois, le troisième entre cette commune et l’Isola, sur la grande route de la vallée ; ce pont n’est que quatre chevrons tremblans sans gardes fous, posés sur deux escarpemens de rochers, au pied desquels coule la rivière ; c’est un vrai précipice, où l’on ne peut passer de nuit, où il est dangereux de passer à cheval, et fécond chaque année en tristes événemens ; le quatrième pont est à Saint-Ethienne, et n’est aussi composé que de deux à trois chevrons, sous lesquels il y a, il est vrai, peu de profondeur, mais qui sont emportés chaque fois que la rivière grossit ; le cinquième, est le pont haut, dont j’ai parlé à Saint-Dalmas le Sauvage.

La Tinée, ayant une eau toujours fraiche et limpide est fertile en truites de toute grosseur et d’un goût exquis, elle contient aussi quelques anguilles, proche du Var mais petites et fort rares.

La Visubie

Cette rivière prend sa source au lac de Fenestre, d’où elle descend du nord au sud, pour se diriger à l’est, lorsqu’elle est parvenue dans la vallée qui porte son nom ; arrivée au pied de la commune de Saint-Martin de Lantosque elle reçoit le torrent Boréon, aussi considérable qu’elle, venant de la montagne de ce nom, et dirigé du nord au sud-est ; ce torrent est fort utile à Saint Martin par les canaux d’irrigation qu’il fournit à ses terres élevées à la plaine ; la Visubie reçoit encore plusieurs autres torrens seulement remarquables dans le temps des pluies ou de la fonte des neiges, très préjudiciables aux campagnes et l’un desquels, passant sous l’élévation où le village est bati, la mine sourdement et nécessite une chaussée pour soutenir le terrain.

A demie heure de là, la Visubie reçoit le torrent de Venanson, considérable et permanent, duquel il sera nécessaire de tirer un canal pour conduire l’eau à ce village qui est sans arrosage, et qui n’a pour s’abreuver qu’une petite source, qu’on conserve précieusement dans une chambre ; plusieurs torrens à sec en été, et dont le lit traverse le chemin qui va à Roccabiliera, fournissent abondamment de l’eau à la Visubie, lors de la fonte des neiges.
Arrivée sur le terroir de Roccabiliera, la Visubie s’incline du nord-est au sud-ouest, et reçoit 1° le torrent de Lancioures, abondant et permanent qui vient du vallon de ce nom, et duquel on a su tirer un canal d’irrigation qui va arroser tout le quartier de Bartemont ; 2° le torrent la Gordolasca, également considérable et permanent qui prend naissance à un des sept lacs du col d’Enfer, descend dans ce vallon où il forme une belle cataracte, proche la chapelle de Saint-Gras, traversant les terres rouges à Belvédère, et vient se jetter dans la Visubie, au pied de la montagne, teinte couleur de sang lorsque ces terres rouges ont été détrempées par la pluie ; 3° les torrens qui viennent des vallons de Riba Longa, Servagné et de Graves. Tous ces torrens font aller tant à Roccabiliera, qu’à Belvedère, deux moulins à farine, un moulin à huile, un martinet, et une scie. On en rencontre encore plusieurs qui tarissent en été, en allant de Roccabiliera à Lantosca.

Dans le territoire de cette dernière commune, la Visubie reçoit du coté de Boléna, un torrent qui descend du col de Raous et qui pourrait fournir un canal abondant pour les campagnes de cette commune ; à Lantosca même au pied du village, le Rious, qui descend des montagnes d’Utelle trainant avec lui des grosses pierres, et fesant un dégat considérable ; on pourrait pareillement en tirer deux canaux qui arroseraient les terres qui sont à droite et à gauche de son lit. Après avoir reçu ce torrent, la Visubie s’incline davantage à l’ouest, quitte le territoire de Lantosca au confluent du torrent de Loude qui nait des montagnes de Coarasa et vient s’y jetter dirigé du sud au nord, en passant au pied des territoires de Duranus et Levens, de Figaret et du Cros, hameaux d’Utelle ; elle va se jetter dans le Var, après avoir parcouru un territoire d’environ sept heures de long.

Dans les deux tiers de ce trajet, elle est encaissée naturellement par des hautes montagnes ; là ou elle ne l’est pas comme à Roccabiliera et à Lantosca, elle fait beaucoup de ravages ; au printemps et en automne, elle déborde dans toute la plaine de Roccabiliera ; elle a emporté depuis 12 à 15 ans à cette commune pour environ 77 arpens (500 sétérées ) de prés. A Lantosca, 15 arpens et demi (100 setérées) au moins, sont occupées tant par le lit de cette rivière que par celui de Rious.

Il y a quatre ponts sur cette rivière, qui sont d’une absolue nécessité pour la grande route de cette vallée ; un au Cros d’Utelle, en pierre, qui tombe en ruine et qui exige de promptes réparations ; un à Lantosca, également en pierre ; le troisième à Roccabiliéra, qui n’est qu’une poutre mouvante qui fait communiquer le village avec l’église ; le quatrième à Saint Martin, partie en bois, partie en maçonnerie. Il est indispensable pour la sureté des habitants de Roccabiliéra et pour celle des voyageurs, qu’on en construise un en pierre ; toute communication étant interrompue lorsque la force de l’eau oblige de lever la poutre ; un pont en pierre préservera également le bas du village d’une inondation prochaine et donnera à la rivière une direction propre à faire gagner une portion de terrain qu’elle a enlevé. Mais la commune est hors d’état de faire construire ce pont, et les maux que toute la vallée a souffert durant la guerre, lui méritent quelques bienfaits de la part du gouvernement.
La Visubie sert depuis sa source jusqu’au Var au flottage des poutres de sapin et mélèze exploités dans les forêts qui l’environnent, et qui ne doivent avoir que trois à quatre mètres (10 à 12 pieds) de long à cause des fréquens zigzacs qu’elle fait ; c’est particulièrement à la fonte des neiges qu’elle sert au flottage.

En entrant sur le territoire de Duranus, elle s’engouffre au milieu de roches énormes taillés à pic qui en resserrent étroitement le lit ; on trouve dans cet abime des traces d’un chemin partie taillé dans le rocher et partie ayant été suspendu sur des barreaux de fer dont il n’y a plus que l’enchassure ; ce chemin s’appelle encore le chemin des Payens et devait suivre le cours de la rivière ; on prétend aussi, ce que je n’ai pu voir, qu’à cet endroit est une grille qui bouche l’entrée d’un canal par ou l’eau de la Visubie devait entrer pour aller sortir on ne sait trop à quel territoire ; quoiqu’il en soit, il est certain que cette belle eau qui devient inutile pourrait être employée avantageusement à l’agriculture en la conduisant sur des territoires qui manquent absolument d’eau.

1° On pourrait tirer un canal, depuis Saint-Martin de Lantosca, qui passerait sur les territoires de Venanson, Roccabiliéra, et finirait à Lantosca, arrosant tous les coteaux nord et nord-ouest de la vallée de la Visubie.

2° Exécuter l’ancien projet de tirer un canal de la Visubie, à Lantosca même, qui irait passer sur le torrent de Loude, ensuite sur le terroir de Duranus, puis sur celui de Levens, au moyen d’un château d’eau établi à Duranus, d’où il arroserait non seulement ces territoires, mais encore ceux de Roquette, Saint-Martin, Torrette, Aspremont et Saint-Blaise, pays à qui il ne manque que de l’eau pour être riches en toute sorte de productions ; après avoir arrosé ces territoires, le canal de la Visubie verserait l’excédent de ses eaux dans la campagne de Nice.
L’exécution de ce projet, qui, dit-on, couterait un million, pourrait être confiée à une compagnie qui vendrait ensuite chaque pouce d’eau, comme cela se pratique en Italie, ce serait le plus grand bonheur qui put arriver à ces campagnes.

La Visubie est riche en truites et en anguilles qui pèsent jusqu’à environ 1 kilo et ½ (5 livres) pièces ; elle a pourtant moins de truites que la Tinée. On voit de tems en tems quelques loutres sur les bords.

Paglion

Paglion, qui ressemble plustôt à un torrent qu’à une rivière, prend sa source au lieu appellé Palliam, au quartier de Maironese, à deux heures plus haut que Luceram, et vient se réunir au dessous de ce village à un autre torrens appellé le Lac, sorti de la montagne de Roche noire, dans le même territoire, après avoir fait aller cinq moulins à huile, deux à farine, une scie et avoir donné deux canaux d’arrosement, un à droite et l’autre à gauche qui se subdivisent et vont arroser toutes les campagnes du vallon de Luceram, et partie de celles de Scarena et de Coarasa, dans une étendue de deux heures. Le restant de l’eau de Paglion descend du nord au sud-ouest, dans un lit resserré par deux montagnes de couches calcaires qui se décomposent, et vient passer sous le pont de l’Escarena, où il rencontre un autre torrent permanent qui vient du col de Braous, passe au Thouet dont il arrose les campagnes basses et se rend à Scarena, pour se réunir à l’eau de Luceram.

Paglion, après avoir fait mouvoir à la Scaréna cinq moulins à huile et trois à farine, se dirige plus au sud, passant par derrière la montagne de Scaréna, sur laquelle est la grande route et ne paraissant plus qu’à un pont appellé pont de Peglia ; dans ce contour, Paglion reçoit un torrent à sec en été, qui passe à Peglia et Peglion, appellé Loana, venant de la montagne d’Agel qui porte le nom d’Eau de Peglia, et le donne à Paglion même, sous le pont dont j’ai parlé ; il fait aller pour Peglia neuf moulins à huile, et trois à farine ; pour Peglion deux à huile et deux à bled ; de plus on en a tiré tout le parti possible pour arroser les campagnes qui sont sur les rivages et qu’il détruit souvent ; ce qui fait qu’en été, à peine voit-on quelques filets d’eau sous le pont de Peglia.

En suivant le grand chemin, un lit de torrent ramasse les filets d’eau qui découlent de la montagne de Scarena, et servent à arroser péniblement quelques misérables propriétés voisines du chemin. L’eau qui reste continue à couler jusqu’à une heure et demie au-dessous de la montagne, ou se trouve un pont, avec une fontaine abondante, appellée de Jarrière, qui sort par deux endroits d’une roche calcaire ; eau fraiche mais fade et séléniteuse , qui sert à l’arrosage d’une campagne voisine, et à faire mouvoir un moulin à huile ; elle va se jetter dans le lit très vaste d’un torrent appellé Eau de Contes.

Le torrent de Contes nait des montagnes sur lesquelles se trouvent les communes de Berra et Coarasa, à environ une heure et demie plus haut que celle de Contes, au pied de laquelle il passe, on en tire des canaux d’arrosemens qui servent à faire mouvoir six moulins à huile et quatre à farine, tant à Bendejoin, hameau de Chateauneuf, qu’à Contes, plus deux martinets, un à Bendejoin, et l’autre à Contes et à vivifier toutes les campagnes voisines. En été, toute l’eau du torrent est presque employée à ces canaux et le lit est à sec. Dans le tems des pluies, au contraire, ce torrent est à peine contenu dans son lit, et il sappe encore les fondemens des roches voisines qui sont d’une nature friable.

Après avoir parcouru un espace d’environ deux heures et demies, le torrent de Contes se joint à Paglion qui vient de passer sous le pont de Peglia, et quitte son nom. De là, continuant sa route du nord au sud, suivant les zig-zacs de la montagne de Drap, jusqu’en face de cette commune où il reçoit d’un coté le torrent de Cantaron, à sec en été, venant de la montagne de Chateauneuf, et donne de l’autre un canal d’irrigation pour les campagnes de Drap, servant à faire aller un moulin, et une papeterie qu’on y va établir ; le long de sa course, Paglion donne encore d’autres canaux pour arroser les campagnes de sa rive droite, faire tourner deux à trois moulins, servir une papeterie établie au quartier de Drap, appellé l’Ariane ; il reçoit ensuite à sa gauche le torrent à sec en été, dit de la Trinité, descendant des montagnes d’Eze, puis à sa droite, le torrent de Saint-André, plus permanent, servant à des moulins, à un martinet et à arroser les campagnes voisines ; après quoi Paglion dirige sa course sur la campagne de Nice, passe sous le pont qui unit le faux bourg à la ville, et se jette dans la mer, un peu au sud-ouest, presque réduit à rien en été. On est surpris de l’étendue de la grave qui forme son lit et qui, pour la campagne de Nice seule, occupe un espace de 1000 mètres de longueur, sur 100 en largeur ; terrain précieux, qu’il conviendrait de racheter à quelque prix que ce fut ; cependant dans le tems des pluies et dans les orages, tout ce lit est brusquement occupé par un volume d’eau qui a été jusqu'à 4 mètres (12 pieds) en profondeur, et qui coulait avec une impétuosité sans égale, roule des blocs de roches considérables et des arbres qu’il a déracinés, franchit les limites de son lit qui ne lui suffit plus, s’étend dans les campagnes et menace les maisons du faux bourg.

Comme nous l’avons déjà observé pour le Var, le lit de Paglion s’est considérablement haussé ; on en peut juger du coté de Drap, par un mur qui est aujourd’hui dans son lit et qui servait autres-fois à tirer un des canaux dont on a parlé cidevant, dans une étendue d’environ trente mètres ; ce mur qui avait, il y a 20 ans, deux mètres environ de haut, au dire des paysans qui l’ont vu alors, est aujourd’hui à niveau du lit, et l’eau passe par dessus aussi, dit-on, que les anciens habitants des rives de Paglion avaient pour usage d’en labourer le lit chaque année ; par là, l’eau du torrent pouvait creuser dans une terre meuble, au lieu de devoir s’étendre en largeur.

Paglion parcourt un espace d’environ six lieues et demies de long, depuis sa naissance jusqu’à sa terminaison ; on y prend à Scarena des barbeaux et des anguilles ; ceux là d’environ 2 hectogrammes (7 à 8 onces) les plus gros ; et celles ci d’environ 1 kilogramme et demi à 2 (3 à 4 livres). Son eau est assez pure, lorsqu’il n’est pas enflé, parce qu’il nait de montagnes dont les sommets sont d’un grès très dur.

La Bévera

La Bévera prend sa source à une fontaine d’eau vive qui sort d’une montagne appellée Colle delle Cabane Vecchie, dans le territoire de Molinetto, à environ quatre heures de distance de Sospello vers le nord, parcourt la vallée à qui elle donne son nom, passe par le milieu de la ville de Sospello, sous un pont de pierre, coule par une pente très douce, toujours du nord au sud, le long des campagnes de cette vallée, jusqu’à ce qu’elle s’enfile une gorge de montagnes en grande partie liguriennes, pour aller se jetter dans la Roya, au-dessous du village Bévera ainsi nommé à cause du voisinage de cette rivière.

Dans cette course qui est d’environ 7 heures, la Bévera reçoit un très grand nombre de torrens dont la plupart sont à sec en été, ce qui fait que dans cette saison, on la passe facilement à cheval et même à pied, tandis qu’à la fonte des neiges et dans le temps des pluies elle inonde toutes les campagnes voisines, et entre même dans les caves des maisons qui sont baties sur ses rivages. Cette multitude de petits torrens et de fontaines qui abreuvent le territoire fertile de la vallée de Sospello, jointe au peu de pente du lit de la rivière, qui la rend stagnante en été, donnent une grande humidité à toute cette conque , en même tems qu’elle la fertilise.

Le torrent permanent appellé Merlansone, est le principal de ceux qui viennent se jetter dans la Bévera ; il nait au Col de Pessa, à l’ouest de Castillon ; il passe par les quartiers appellés Fraisse et Prau, et aboutit à Bévera au sud de Sospello, après avoir reçu sept autres petits torrens presque tous à sec en été.

La Bévera et Merlanson, font mouvoir onze moulins à huile et huit à farine ; on a tiré de la rivière tout le parti possible pour des canaux d’irrigation et elle fournit de l’eau aux fossés de trois taneries ; mais il m’a paru en remontant le torrent de Merlanson, qu’on pourrait en tirer beaucoup de canaux pour les campagnes des quartiers où il passe.

Cette rivière est abondante en truites et anguilles qu’on pêche durant la nuit à la lueur des flambeaux ; on pêche aussi dans les diverses eaux stagnantes des environs de Sospello, des carpes, des lamproies et des grenouilles.

Il me semble qu’on pourrait tirer parti de la Bévera, dans le tems de la fonte des neiges, pour faire flotter jusqu’à la Roya, les bois de Molinetto, en en décombrant le lit, dans la gorge des montagnes d’Olivetta.

La Roya

Cette rivière, (Rutuba des latins) prend sa source au pied du col de Tende à 2 heures de Tende, et descend du nord-nord-est au sud-ouest, par une pente très rapide, entrainant avec elle des énormes masses de rochers ; depuis 15 ans environ, son lit s’est considérablement étendu, et a occupé la majeure partie des prés situés de chaque coté de son rivage.

La Roya arrivée au voisinage de Tende, reçoit 1° le torrent permanent appellé Aurabia, qui prend naissance au col de Tas. 2° une demie lieue au dessous de Tende, au lieu dit Saint-Dalmas, la petite rivière de Levensa prenant naissance au Tanarello, traversant la vallée de la Briga, recevant les eaux du torrent Rio Secco, sec en été, à l’est du village parcourant une étendue de trois heures de long, terrible dans ses crues qui ont emporté une grande quantité de champs, de prés, de vignes et de jardins de la Briga dans l’inondation de l’automne de 1798 ; servant à faire aller 5 moulins à farine et à arroser tous les penchans des montagnes, avec la plaine, propre à transporter des billons, lors de la fonte des neiges, et contenant beaucoup de truites ; cette rivière a deux ponts l’un à Briga, l’autre à son embouchure. 3° La Bionia, rivière plus considérable que la Roya, dans laquelle elle se jette, prenant naissance des lacs des Merveilles au col d’Enfer, passant dans la Valauria où elle sert aux usines de la mine de plomb, traversant les riches bois de Gauron et Nauca, et successivement des bois de chataigners placés à droite et à gauche de ses rives, recevant les deux petits torrens appellés ruisseau de Gauron et de Grenier ; cette rivière parcourt, du nord-ouest au sud-est un espace d’environ six lieues de long, est très féconde en truites, et est susceptible de transporter de très gros billons pourvu qu’on ait soin d’en nétoyer le lit qui est encombré de grosses pierres. On pourrait aussi la faire servir à procurer des prés abondants dans les bois de chataigners qui l’environnent, en en tirant à droite et à gauche des canaux d’arrosement, dont un prendrait depuis le ruisseau de Gauron jusqu’au ruisseau de Grenier, étendue d’une heure, et l’autre, d’une étendue de deux heures, depuis l’endroit appellé Mairisse, jusqu’à Gardala.

L’embouchure de la Bionia dans la Roya est de quelques pas au dessous de celle de la Levenza.

La Roya, après avoir reçu ces eaux, continue de couler au sud-ouest, dans une gorge étroite, peuplée de chataigners extrêmement resserrés dans son lit, jusqu’à Fontan, hameau de Saorgio, où la vallée s’élargit, pour se resserrer de nouveau dans les gorges horribles des rochers pelés qui entourent Saorgio. Dans ce territoire, cette rivière reçoit

1° le torrent appellé Guido, qui a peu d’eau descendant par une vallée appellée Cayoline dont il arrose les terres à son niveau, et dont il pourrait aussi arroser les terres supérieures, en en tirant des canaux d’irrigation près de son origine ;

2° la Bendolla, arrosant les terres qui sont sur ses rives ;

3° une eau abondante qui découle des rochers qui sont sur le grand chemin (en face de l’inscription qui transmet la mémoire du Prince de la maison de Savoie qui a rendu ces abimes praticables) qu’on m’avait dit minérale et qui n’est qu’abondamment séléniteuse, de nulle utilité pour l’agriculture ;

4° le torrent de Gias qu’on dit venir d’un lac de ce nom, dans la montagne de Gions, et qui arrose une petite vallée au sud-est de Saorgio.

Après avoir franchi le territoire de Saorgio, la Roya reçoit à Giandola, hameau de Breglio,

1° le torrent permanent et abondant appellé vallon de la Maglia, qui prend sa source au pied de la montagne de l’Aution, au nord ouest de Breglio et qui parcourt pendant une heure et demie un vallon fertile, qui le serait encore davantage si l’on tirait des canaux d’arrosement du torrent de la Maglia ;

2° le torrent Foussa, ayant de l’eau en tout tems, prenant sa source à Crabaressa au pied de Brouis, vers Breglio et servant à arroser des prairies, des chenevis, et des jardins, de part et d’autre, dans une étendue d’une heure et demie.

Ici, la Roya quitte la vallée de ce nom, arretée par la chaine de Brouis, et se dirigeant plus au sud, elle enfile une gorge étroite de montagnes qui la conduisent sur le territoire de la Ligurie, au pied des communes liguriennes de la Penne et de l’Olivette, jusqu’à Bévera, ou elle reçoit la rivière de ce nom, environ trois milles au dessus de Vintimigle, dans la vallée de laquelle elle coule paisiblement jusqu’à la mer, après avoir passé sous un pont, au pieds des murailles de Vintimigle.

Cette rivière, que je regarde comme une des plus importantes du département des Alpes-Maritimes, parcourt depuis son origine jusqu’à la mer une étendue d’environ 13 lieues de long dont les deux tiers sur le territoire du département ; plus constante dans la quantité de ses eaux, plus accessible et plus limitée dans son lit que le Var, elle peut servir dans tous les tems aux flottages des bois magnifiques qui sont à Tende, à Briga et à Saorgio, pourvu que les billons et les planches n’aient pas plus de 3 mètres et demi (14 pans environ) de long, à cause des fréquents circuits qu’elle est obligé de faire ; elle a été constamment employée à cet usage, et je l’ai vue en exercice dans le plus fort de l’été ; mais il est à regretter que la France ne la posséde pas toute ; si ses limites, s’étendent de ce coté, ainsi que nous en avons exposé la nécessité, elle pourra faire venir des bois de construction jusqu'à Vintimigle, pour les transporter dans ses différens ports ; quelques travaux qu’on ferait dans le lit de cette rivière, pourrait peut-être même en étendre les usages, et augmenter les communications commerciales des grandes Alpes avec la Méditerranée.

La Roya abonde en excellentes truites et en barbeaux dans tout son cours, elle fournit des canaux d’irrigation très étendus et très anciens, à toutes les communes dont elle franchit le territoire, sans compter qu’elle fait aller tous les moulins à farine et à huile de Tende, Saorgio, Breglio, la Penna, Olivetta, Campo Rosso, et Vintimigle, sans perdre pourtant beaucoup de l’abondance de ses eaux qui sont vives, limpides et très pures. De Breglio à Tende, on la passe sur 5 ponts, un à Breglio, 2 sur le territoire de Saorgio et les 2 autres sur celui de Tende.