Le Var et l'Esteron

Hydrologie du Var et de son affluent l’Estéron.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Le var et l'Estéron

Le Var, mérite le nom de fleuve, si on entend par là, tout courant d’eau qui va directement à la mer ; mais si ce nom ne doit être donné qu’à une grande rivière dont l’embouchure est dans la mer, il mérite tout au plus le nom de rivière parce que semblable aux torrens. Le volume de ses eaux et leur impétuosité sont extrêmes à la fonte des neiges et dans le tems des grandes pluies, et se réduit à fort peu de chose durant les saisons de l’hiver et de l’été, pouvant alors être guaiyée par tous très facilement.

Il prend sa source au pied de la montagne du Garret, au dessus d’Estainc, hameau de la commune d’Entraunes, à une heure et demie de distance de cette commune ; le Var n’est la qu’un petit ruisseau qu’un enfant passe facilement ; à deux cents pas environ d’Estainc, il reçoit le torrent de Sanguinières, montagne placée entre St Dalmas le Sauvage et la vallée ; ce torrent est lui-même plus gros que le Var. Vient ensuite le torrent de Stroop descendant des montagnes de St Dalmas, puis le torrent d’Aillères, qui s’y jette, après avoir formé une belle cascade. Avant de recevoir ce torrent, le Var lui-même forme une cascade répétée au quartier de St Roch.

Après le torrent d’Aillères viennent, Garreton, Pestornières, Chaudan et Berarde, venant du coté d’Alos et de Colmar, torrens qui ont de l’eau en toute saison et qui produisent des ravages considérables durant la fonte des neiges et les orages, peu utiles, car ils ne parcourent guère que des rochers stériles.

Du côté du col de Pal, le Bordoux, prenant naissance au col de Bombarlet, vient se jetter dans le Var au dessous d’Entraunes, après avoir parcouru une course rapide d’environ trois heures, utile pour quelques canaux d’irrigation qu’on en a tiré pour les campagnes voisines.
Le Var arrivé à Entraunes a environ deux tiers de mètre de profondeur sur un et demi de largeur ; mais à la fonte des neiges, dans les grandes pluies et dans les orages, il déborde considérablement, il roule des rochers énormes, et menace ainsi que le Bordoux, le village d’Entraunes qui se trouve placé entre ces deux eaux, dans un espace triangulaire, dont il tire son nom, inter amnes.

J’ai été témoin d’une de ces scènes ; arrivé à Entraunes par un beau temps, le Var et le Bordoux, le long duquel j’étais descendu, ne paraissant que des espèces de ruisseaux, se trouvèrent le lendemain des rivières épouvantables, par la pluie qui survint la nuit et qui dura trois jours, durant lesquels j’étais enfermé comme dans une isle ; le mugissement de leurs eaux noires comme l’encre, joint au fracas des rochers qu’ils entraînaient formaient durant la nuit un bruit mille fois plus effrayant que celui qu’on entend en pleine mer lorsqu’elle est irritée ; le jour on était entouré du spectacle à la fois magnifique et menaçant d’un grand nombre de torrens nouveaux qui tombaient en cascades rapides de toutes ces montagnes élevées, et qui remplissaient l’air de poussières d’eau, avant de parvenir au fond de la vallée.
Le Var est contenu près d’Entraunes par une chaussée de deux ponts, à qui le village doit son salut, mais qui est fortement endommagée et qui exige une prompte réparation ; le village à également besoin d’une chaussée du coté de Bordoux. Après le Bordoux, le Var reçoit dans le territoire de St Martin d’Entraunes, les torrens Chastellanette, Chamfillon, les Filleuls, Cheilan, deux à l’est et deux à l’ouest. Ces torrens ont de l’eau, en tout temps, et servent à faire tourner des moulins et à l’arrosage, mais ils sont redoutables en automne et au printems, par les dégâts qu’ils occasionnent aux terres et aux chemins qu’ils traversent ; ils n’étaient il y a vingt ans ni aussi abondans, ni aussi impétueux ; le Var lui même a une course plus impétueuse depuis une douzaine d’années ; il a presque emporté tout ce qui restait de champs et de préz dans la plaine et sur le penchant des collines de sorte que les terres s’éboulent de partout et le rocher reste à nud.

Après ces torrens, il reçoit dans le territoire de Villeneuve d’Entraunes, celui d’Elenos, de Bourdoux et de Bantes ; le torrent seul d’Elénos a de l’eau en tout temps et sert à l’arrosage, à une scierie et à faire tourner quatre moulins, dont deux à farine et deux à foulon. Les autres font au contraire un tort infini à l’agriculture et celui de Bordoux envahira quelque jour le chef lieu, si l’on n’y prend garde. Ici, le Var pourrait commencer à être de quelque utilité, soit pour le flottage, soit pour l’arrosage ; la commune de Villeneuve n’a que la 10ème partie de son terroir, arrosé par l’eau d’Elénos ; il serait très possible de tirer du Var un canal d’irrigation, qu’on prendrait dans le territoire de St Martin, et qu’on ferait monter au dessus du chef lieu de Villeneuve, ce qui en arroserait toutes les campagnes, et quadruplerait l’étendue des prairies.

Après ces torrens, le Var reçoit avant d’arriver à Guillaumes, les eaux de la Barlate, torrent considérable, permanent, aussi gros que le Var, dans le temps des pluies, prenant naissance dans les ravines du col de Pal, et parcourant la vallée étroite de Chateauneuf d’Entraunes, dans la direction du nord-est au sud-ouest, dans une étendue de deux heures et demie ; servant à faire tourner trois moulins, et à arroser les prairies de Chateauneuf, dans les quelles les habitans ont multiplié les canaux d’irrigation, qu’il entretiennent avec beaucoup de soin.

Le Var parcourt ainsi dans la vallée d’Entraunes, en formant un grand nombre de zig-zacs, un espace de 5 lieux et demies de terrain en longueur, dévastant toute la plaine, sans lit fixe, et décharnant toutes les bases de montagnes. Sa direction est d’abord du nord-ouest à l’est, jusqu’à St Martin ; là il s’incline au sud est, jusqu’à Guillaumes.

Toute la vallée a un besoin urgent de ponts sur le Var, faute desquels on est obligé de gravir des précipices horribles, pour pouvoir aller d’une commune à l’autre, dans le temps des crues, ce qui amortit considérablement le commerce de ces contrées.

Arrivé à Guillaumes et à Sauze, le Var se dirige du nord-est au sud-ouest ; il reçoit d’abord du coté de Sauze deux torrens, l’un appelé le Rio, et l’autre le Rio de la Palu, tous les deux permanes et commettant beaucoup de dégâts. Le Rio sert à faire tourner deux moulins à farine ; on en avait tiré anciennement un canal qui arrosait tous les environs du village et que le défaut de moyens a forcé de laisser tomber en ruines ; il est d’une urgente nécessité de le réparer.

Je dirai en passant, qu’en remontant le Rio dans le vallon dit la Clef de Rio, on trouve une grotte remplie de stalagmites d’albâtre, transparent qui reçoit un très beau poli.

Sur le territoire de Guillaumes, qu’il parcourt de deux lieues et demie de long, du nord est au sud ouest, il reçoit sept torrens ; ceux de Chaulières, de la Frache et le Riou de Cantes venans des montagnes de Sauze et n’ayant point d’eau en été ; le Tuebi, venant du col de Crous, terroir de Peaune, torrent considérable ayant de l’eau en tout temps, parcourant une étendue de deux lieues et demie, dans la vallée de Peaune dont il occupe toute la plaine par son lit et vient raser les murs de Guilleaumes, à son embouchure ; le Tuébi reçoit dabord à quelque distence de son origine, le torrent dit Lavanche, ensuite, au pied du village, l’Aigo blancho, ou Riol Blanc, qui vient de la montagne de Monnier ; il fait aller cinq moulins à farine, cinq moulins à foulon, et un martinet. Les anciens réglemens obligeaient chaque particulier riverain a lui donner des bornes, et à entretenir des canaux d’irrigation qui en partait ; Riol blanc fournit pareillement un canal qui arrose les terres des différens quartiers et celui du village ; tous ces réglemens sont tombés en déssuétude, les campagnes sont moins arrosées, et le lit des torrens est augmenté.

Le 5ème torrent est celui des Roberts, venant des montagnes de Guilleaume, permanent, argileux, ayant servi autres fois à un foulon. Les deux derniers sont, celui de Bancheron et de la Clu d’Ames ; Bancheron a de l’eau en tout temps, il fait tourner deux moulins à farine et arrose par des canaux les campagnes du hameau et quartier de ce nom.

Tous ces torrens font un ravage affreux et exposent la ville de Guillaumes a être entièrement détruite quelque jour ; rien n’annonce plus la misère que les murs de cette ville, entourés de grave de trois cotés, et appuyés par l’autre contre des rochers de tuf qui se dégradent journellement ; trois ponts sont sur le Var, celui de Guillaumes, celui du Panier et celui de Robert ; le premier qui protégeait la ville a été évité par la rivière à la suite de l’éboulement du rocher qui en a détourné le cours ; il ne fallait d’abord qu’une chaussée de trente six mètres de long pour le rétablir, il la faut aujourd’hui de soixante dix mètres, et plus on retardera, plus le mal sera grand, et peut-être irréparable. En même temps il est utile à l’agriculture de rétablir la digue qui couvrait un plan conséquent, appelé plan de Notre-Dame, lequel est aujourd’hui couvert par le lit du Var, lorsque cette rivière déborde.

Après le territoire de Guillaume, le Var entrant dans celui de Daluys, de l’est à l’ouest, dans une étendue de trois quarts d’heure, reçoit deux torrens, l’un appellé le Rio de la Salette, descendant de la Colle, du nord au sud, et l’autre simplement le Rio, venant dans la même direction, tous les deux permanents servant à l’arrosage et à faire mouvoir un moulin à farine, terribles par les ravages qu’ils causent durant les fortes pluies.

Arrivé au pont de Guédan, après une course d’environ cinq heures, depuis Guilleaumes, et après avoir encore reçu quelques torrens qui viennent de St Léger et des communes des Basses Alpes, le var s’incline de l’ouest à l’est, et reçoit d’abord la petite rivière de Colomb, venant des Basses Alpes, après quoi il s’achemine vers Entrevaux et le Puget-Théniers, jusqu’au territoire duquel, il ne aucun torrent permanent. Mais dans ce territoire, il en reçoit beaucoup à droite et à gauche, qui s’y rendent les uns du nord au sud et les autres du sud au nord. Le plus grand nombre de ceux qui aboutissent à la rive gauche viennent de la montagne de Dines, qui est au nord de la ville ; tels sont les suivans, appellés vallons dans le pays, celui de Rives ; les deux vallons dits de St Martin ; les deux vallons du quartier des Odiers ; le vallon du Grelet et celui d’Endrivettes ; la source du quartier de la Blanquerie ; plusieurs petits vallons au quartier dit des Avalanches, parce qu’il contient plusieurs eaux souterraines qui font que les terres s’éboulent de toute part ; la Rodoule, qui descend des montagnes d’Auvare recueille les deux torrens qui passent au Puget de Rostang, appellés l’un ravin-d’Auvare, et l’autre Riou de Dines, et vient couler avec impétuosité le long des murs du Puget séparant la ville d’avec le faux bourg, réunis par un pont de pierre sous lequel passe le torrent, avant d’unir ses eaux à celles du Var qui est tout proche ; en suivant le cours du Var, toujours à gauche, dans le chemin du Thouet, jusqu’aux Champs, on rencontre encore des lits de plusieurs autres torrens, qui ne donnent qu’en temps de pluie.

Sur la rive droite du Var sont également plusieurs torrens, dont les principaux sont : le vallon de Notre-Dame, celui de Vivet, et celui de Peirols ; enfin celui du Breuiel proche lequel est la carrière du charbon de pierre.

La plupart de ces torrens sont permanens surtout celui de la Roudoule, qui fait aller les moulins à farine d’Auvares, La Croix et Pujet de Rostang, ainsi que les trois à quatre moulins à huile de ces deux dernières communes, et une partie de ceux de Puget-Théniers outre qu’on en tire dès son origine, divers canaux d’irrigation. Tous sont funestes aux campagnes du Pujet, dans le temps des pluies, des orages, et de la fonte des neiges ; partout on ne voit que ruines de préz, de champs et de vignes couverts de cailloux et de rochers amenés par les torrens ; la terre végétale du penchant des montagnes est rapidement entraînée dans le Var qui l’emporte au loin, dévastant à son tour, d’une manière affreuse, tout ce qui reste de champs dans la plaine ; le peu de ressource du pays, ne pouvant lui apporter que des efforts impuissans ; c’est de trente ans en çà que les torrens se sont montrés avec plus de force et d’impétuosité ; on l’attribue, avec juste raison, à la dénudation des hauteurs, que l’ignare cupidité augmente encore chaque jour ; des torrens nouveaux se forment chaque année et redoublent l’effroi de cette population florissante, il y a un siècle, mais qui a diminué insensiblement avec la quantité de son territoire cultivable et qui ne peut manquer de diminuer encore, si le gouvernement ne vient à son secours, soit par des réparations solides, au Var et aux principaux torrens, soit en établissant une police vigilante sur les eaux et forêts.

La source de la Blanquerie est très utile aux campagnes, par les canaux d’irrigation qu’elle leur fournit ; ses eaux sont chaudes en hiver et froides en été ; elle servait autre fois à trois taneries, il n’en reste qu’une.

Il y a un pont sur le Var, qui entretient la communication du grand chemin de Nice, avec le Pujet ; les frais de son entretien autrefois partagés entre toutes les communes qui en profitent et qui en ont un besoin direct sont aujourd’hui supportés par la commune seule du Pujet ce qui est non seulement injuste mais encore au dessus de ses forces. A un quart de lieue, avant d’arriver au Thouet, le Var reçoit un torrent considérable, appellé Chaus, qui prend son origine à la montagne de Mounier au dessus de Bueil, et reçoit toutes les eaux de pluies et de la fonte des neiges des différens quartiers de cette commune, plus les eaux abondantes d’une fontaine appellée Chaudans, de ce qu’elle est chaude en hiver, et qui sert à faire tourner deux moulins à farine et à faire mouvoir un foulon à un lieue de la commune. Le Chaus ne peut être d’aucune utilité à Beuil, parce qu’il coule tout à fait au pied de la montagne sur laquelle le village est bâti ; il reçoit ensuite les eaux de Pierles, Lieuches, Rigaut et Thierri, fait tourner quelques moulins sur le territoire de Rigaut et va à sa destination après une course d’environ quatre heures, presque toujours à travers des rochers inaccessible, sauf vers sa terminaison ou il occupe un lit considérable qu’on a déjà tenté en vain de rétrécir ; on le passe presque à sec en été, mais dans les averses, il est tellement enflé et si redoutable qu’il intercepte toute communication entre diverses communes ; il est donc d’une urgente nécessité qu’on y construise un pont pour que l’on puisse le passer en tout temps.

De ce torrent jusqu’au Villars, dans l’étendue d’une lieue et demie, il y a plus de quarante ravins à sec en été, qui font un ravage immense dans le temps des averses, et qui rendent souvent impraticable et dangereux le chemin commun de cette vallée du Var taillé perpendiculairement au dessus de cette rivière, et au dessous des ravins, sans aucun mur de retient. Le Thouet, village placé en amphithéatre sur le penchant d’un rocher taillé à pic, est divisé par une cascade permanente qui descend du rocher et qui sert à abreuver les habitans, a arroser leurs campagnes et à faire aller deux moulins, un à huile et l’autre à farine, après quoi, l’eau qui reste se jette dans le Var.

Arrivé au Villars, lieu autre fois très conséquent, le Var reçoit aussi deux petits torrens permanens, d’une course peu rapide, qui ont servi à arroser les belles campagnes d’alentour, à faire aller deux moulins à huile et à farine, à faire jouer un martinet, et aux fosses d’une tannerie qui n’existe plus, mais qui existait encore en 1786.

Du Villars à Massouin, dernière commune de la vallée du Var, cette rivière ne reçoit que quelques petits ruisseaux qui ont servi à l’irrigation des campagnes ; et des torrens, à sec en été, venant des montagnes de Bairols, Tournefort, et Malaussène. Sa course depuis le Pujet, est d’environ cinq heures, et dans cet espace, il fait un mal considérable aux campagnes et aux chemins, faisant dans le temps des crues, ébouler les terres et les rochers d’une texture peu solide ; il est évident que pour conserver les plaines qui existent encore dans cette précieuse vallée, il serait nécessaire de faire des ouvrages sur la rive droite de la rivière, qui la rejette. Sur la rive gauche qui est beaucoup plus solide étant formée de rochers qui n’ont pas encore été endommagés. Il est essentiel aussi de remarquer que les différentes communes placées sur la rive gauche ont la plupart des hameaux et des propriétés sur la rive droite et qu’en outre il y a un chemin par le col de Vial placé en delà du Var, qui abrège beaucoup la distance de ces communes, à la ville de Nice ; or, il n’y a aucun pont solide sur le Var, excepté deux ponts en bois, un au Thouet et l’autre au Villars, qui sont emportés tous les ans, dans le temps des crues, et qui l’ont été cette année durant mon séjour dans ces montagnes. L’intérêt du commerce et des communications réciproques exigerait donc qu’on en fit enfin un suffisamment solide, pour ne devoir pas être reconstruit chaque année. On a tiré de cette rivière tous les canaux d’arrosement dont elle est susceptible, relativement à la profondeur de son lit ; un canal appellé Vilières, pris en Villars, vient arroser une portion des terres basses du village de Malaussène.

A Massouin, le Var arrêté par les montagnes de Bairols et Tournefort, qui le séparent d’avec la Tinée, change de direction et se courbe à angle droit du nord au sud, s’enfonçant entre deux roches inaccessibles et pelées, au milieu desquelles il fait grand nombre de zig zacs, recevant du coté de l’ouest des torrens qui découlent des montagnes de Todon et de Torrette-Revest, sur le territoire desquels il prend son cours et dont le principal est celui de Barleng, qui fait aller un moulin, hiver et été, au moyen d’un étang artificiel qu’on y pratique dans cette dernière saison. Du côté de l’Est, le Var reçoit au bout d’environ une demie heure de course après Massouin, la rivière de la Tinée ; et environ trois quart d’heure après celle de la Vésubie ; ces deux rivières séparées dans leur embouchure, par l’extrémité de la troisième chaîne de montagne, sur laquelle est Utelle.

Les roches énormes qui servent de lit au Var, s’abaissent à mesure qu’on s’approche du territoire de Beauson où il y avait autre fois un pont dont on voit encore les ruines pour la facilité de la grande route de Nice au Pujet, qui passait par cette commune et qui était plus courte et plus aisée que celle d’aujourd’hui.

Aussi le Var quittant les rochers pour cheminer dans les terres, recommence t-il à commettre des dégâts immenses dont la commune de Bauson a souffert pour plus de 40 000 francs depuis 1790, ce qui devient continuel depuis ce territoire jusqu’à l’embouchure de la rivière dans la mer, son lit n’étant plus contenu par le solide mais gagnant chaque jour du terrain aux dépens de la culture.

Arrivé en effet à la commune de Roquette St Martin, à environ deux heures d’intervalle depuis l’embouchure de la Vésubie ; le Var qui passe au milieu du village, occupe au moins vingts-trois arpens, dix-sept perches, cent cinquante sétérées environ du terroir de cette commune, des quels il a pris sept arpens, soixante-douze perches, cent cinquante sétérées environ depuis 1790 ; et non seulement il s’empare du terrain cultivé, mais encore du sol des habitations ; dont il a déjà emporté plusieurs, avec une église et le chemin qui conduit à Gilette ; un de ses bras surtout, qui a un courant très rapide et qui s’est jetté jusque sous les maisons de St-Martin, creusant par dessous dans un terrain qui est meuble, paraît les menacer de chute prochaine et avec elles l’éboulement de toutes les terres supérieures.
Il est donc de la plus haute importance pour conserver ce village ainsi qu’un terrain très précieux complanté en jardinet, vignes et oliviers, dans une plaine riante (si l’on n’avait pas le spectacle des désordres causés par le Var), de construire une forte digue qui prenne au couchant et qui se prolonge du coté du midi laquelle relancera le Var dans son ancien lit qui était infiniment plus étroit, mais qu’il faudra creuser parce qu’il est beaucoup plus élevé qu’il ne l’était lorsqu’il pouvait contenir toutes les eaux de cette rivière.

Le Var traverse ici le grand chemin qui conduit de Nice à Gilette et au Pujet ; il y avait autre fois un pont dont on voit encore les restes de pilotis qui paraît avoir été emporté depuis un siècle. Il n’était pas prudent d’en construire un autre au même endroit, le terrain n’étant pas solide et le lit s’étant divisé en plusieurs bras, c’est pourquoi on transporta le pont à une heure plus haut, près de Beauson où le lit de la rivière est resserré et contenu entre deux rochers ; le chemin passait par là, ainsi qu’on le voit encore tracé sur la carte de Borgonio, la meilleure de toute pour ce pays, et faite vers le tiers du 18ème siècle ; ce pont s’est aussi écroulé, et il n’en reste plus que les ruines ; pour y suppléer, le ci-devant seigneur du lieu avait fait faire un bac à St Martin, lequel est aujourd’hui propriété nationale et affermé pour la rente annuelle de 590 francs mais ce bac ne pouvant être mis à l’eau dans le temps des crues du Var, ce qui arrive à la moindre pluie, on est obligé (ce qui n’est même pas toujours possible) de le faire gaier sur les épaules des habitans de St Martin, qui sont au nombre de trente environ, occupés par profession à guaier la rivière, toutes les fois qu’elle est trop étendue ; profession nuisible à ceux qui s’en occupent et qui ne vivent pas longtemps et souvent funeste aux voyageurs dont il est rare qu’il ne périsse quelqu’un chaque année sans compter la perte des bêtes de somme, qui est encore plus fréquente ; en outre, comme il n’y a aucun prix déterminé pour ce passage, mais qu’il est proportionné aux dangers vrais ou supposés que les guaieurs y trouvent, les extorsions qu’ils font aux voyageurs sont considérables ; en général, on peut compter sur cinq à six francs par individu, et j’ai payé moi même cette dernière somme car ils sont trois pour porter un homme, or sur douze mois de l’année, il y en a au moins trois, qu’il faut guaier la rivière, d’où l’on peut voir combien le commerce doit être gêné, soit par cette contribution, soit par les risques qu’il y a à courir.
Aussi es-ce un cri général de tout le 3ème arrondissement de rétablir le pont de Beauson ; la justice et l’humanité ne le réclament pas avec moins de force et certes en construisant ce pont et en y établissant un modique droit, les intérêts de cet arrondissement se trouveraient coïncider parfaitement avec ceux de la République, ou de la compagnie qui en formerait l’entreprise. Tout proche de St-Martin, du côté du sud, la anse que forme le Var, reçoit un torrent appellé le vallon de Saint Blaise qui vient des montagnes de cette commune, postée sur les hauteurs qui dominent le Var et qui sert à arroser une partie du territoire de la Roquette ; le Var fait aller deux moulins à farine, trois moulins à huile et deux scies à eau, dont les planches sont flottées sur la rivière jusqu’à la mer.

Egalement, tout proche du susdit village, à l’opposé du vallon de St Blaise, du coté de l’ouest, le Var reçoit la rivière de l’Esteron, venant des montagnes de Briançonnet dans les Basses Alpes, dans la direction de l’ouest à l’est, jusqu’à la commune de Roquesteron qui est partie des Alpes-Maritimes et partie du département du Var ; l’Estéron passe sous un pont de bois qui divise les deux territoires qui tombe en ruine ; formant un angle très aigu pour se diriger au Sud-Est, cette rivière établit la limite entre les deux départements, pour une étendue d’environ 6 heures de chemin.

L’Estéron arrivé sur le territoire des Alpes-Maritimes commence à y exercer de grands ravages ; son lit autre fois resserré, a acquis depuis une quarantaine d’années une étendue considérable, et augmente à vue d’œil, à cause des orages qui ont lieu souvent sur les montagnes pelées qui l’environnent, et sur lesquelles les eaux pluviales ne peuvent plus s’arrêter, depuis les déffrichemens des petits bois qui étaient sur leur sommités. De belles prairies arrosées par un canal tiré de l’Estéron, des jardins et des champs d’oliviers, occupaient il y à quarante ans un vaste terrain qui était tout proche du village de Roque-Estéron et qui n’est plus aujourd’hui qu’un gravier occupé par la rivière qui a changé de lit ; une digue qui la rétablirait dans son ancien lit, et dont la dépense à ce qu’on calcule, ne monterait pas à plus de 20 000 francs, rendrait ce beau terrain à l’agriculture, et l’on pourrait replanter le long de l’Estéron les meuriers qui y existaient avant le débordement, et qui produisaient un commerce honnête que cette commune a été forcée d’abandonner. L’on aurait aussi en construisant cette digue, un canal d’irrigation qui irait arroser le quartier dit du Ranc, absolument aride comme le sont en général toutes ces communes, entre le Var et l’Estéron, lesquelles n’ont de l’eau que par le moyen des resérvoirs qui reçoivent les eaux pluviales. L’Estéron fait ici mouvoir deux moulins à huile et un a farine, et il serait susceptible de fournir de l’eau à un grand nombre d’autres fabriques, s’il venait à s’en établir.
Depuis la Roque-Estéron, cette rivière parcourt, du côté des Alpes-Maritimes, les territoires de Cuebris, Pierrefeu, Gillette et Beauson ; elle reçoit le Rio torrent qui vient de St Raphael, montagne de la commune de la Penne, qui sert à l’arrosage, et à un moulin ; deuxièmement le Riollant, qui vient des montagnes de Sigalle ; troisièmement le Riou, torrent des montagnes de Cuébris, presqu’à sec en été, et qui traverse aussi le terroir de Pierrefeu, donnant quelques arrosages quand il y a de l’eau, et faisant aller deux moulins à farine et deux à huile, aidé de celle de quelques petites sources qui tarissent en été, saison ou les moulins ne vont pas ; quatrièmement le torrent de Gilette qui vient des montagnes de Revest qui fait aller quatre moulins, deux à blé et deux à huile, et presque à sec en été. L’Estéron reçoit en outre les torrens qui lui arrivent du côté du département du Var, et dont je n’ai pas pris note, plus une infinité de petit ravins qui descendent dans le temps des pluies des hautes montagnes au milieu desquelles sont lit est creusé, et qui font qu’il ne peut être d’aucune ressource pour l’agriculture, après avoir franchi le terroir de Roque-Estéron.
Après avoir reçu l’Estéron, le Var coule au pied des montagnes sur lesquelles sont bâties les communes de Saint-Blaise, Levens, Aspremont, Torrette, dont il reçoit les eaux pluviales, et s’inclinant un peu à l’ouest lorsqu’il est arrivé au pied des vignobles du quartier de Bellet, il passe sous le pont dit de St Laurent, construit dans la dernière guerre, et mitoyen avec le département du Var, et se jette dans la mer ; avant d’arriver au pont, il menace évidemment toutes les terres de ce quartier de la campagne de Nice, appellé quartier du Var, il les inonde dans les grandes crues et ses eaux y filtrent en tout temps, parce que ces terres sont plus basses que son lit, ce qui en forme un marécage d’une demie lieue environ d’étendue, le seul qui existe dans le département.

Depuis long-temps on fait les plus grands efforts pour conserver ces terres ; différens travaux partie en maçonnerie, partie en arbres et arbustes couchés le long de la rivière et surveillés par une commission ad hoc ont réussi à faire tirer quelque parti de ce qu’on nomme à cause de cela, les Iscles du Var, mais sont insuffisants pour en assurer une culture entière contre les grandes crues de la rivière, ainsi qu’on en fait chaque année la trop malheureuse expérience.

Il faut convenir que le lit du Var comblé par les atterrissements qui se sont faits depuis tant de siècles et qui sont plus conséquens aujourd’hui que les montagnes dégradent, et que les terres qui ne sont plus soutenues s’éboulent à grand flot, il faut convenir, dis-je, que ce lit a du gagner en largeur ce qu’il a perdu en profondeur, il n’appartient qu’à un ingénieur hydraulique consommé dans la théorie et la pratique d’une science aussi difficile, de trouver la solution du problème de donner au Var un lit suffisant pour les plus grandes crues, en conservant le terrain précieux qui se trouve encore sur son rivage.

Le Var parcourt ainsi, en faisant des détours et des zig zacs très fréquens, une étendue d’environ vingt une à vingt deux lieues, depuis sa source jusqu’à son embouchure ; il est susceptible depuis la vallée d’Entraunes, de recevoir et de transporter des billons mais il ne peut recevoir des radaux que depuis St Martin, c’est à dire dans une étendue de trois heures ; on pourrait même le rendre navigable jusques la en l’encaissant, mais depuis ce point la chose est impossible.

Cette rivière est peu poissonneuse ; elle ne contient presque pas de truites ; les anguilles et les barbeaux sont les poissons qu’on y pêche plus fréquemment ; les sardines et anchois fréquentent volontiers son embouchure.