Les pâturages des Alpes-Maritimes et leurs produits

Le dur métier de berger. Des bêtes de somme et gros bétail et de leur qualité.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Des pâturages du département des Alpes-Maritimes et de leur produit

Dans une contrée toute montueuse, l’on ne doit pas s’attendre à trouver un grand nombre de prairies artificielles, ni même beaucoup de prés naturels ; si l’on en excepte les bassins de Nice, de Menton, de Sospello, de Pujet Théniers, de Thouet, de Villars, de Massouins, Saint-Ethienne, la vallée d’Entraunes et quelques autres qui sont d’une petite étendue, le fourrage transporté dans les granges se réduit à celui qu’on coupe dans les bois et sur les sommets des montagnes, là ou se recontre quelque fraicheur ; on a fort peu songé à tirer un plus grand parti des prairies qu’on peut avoir, et il faut convenir que les riviéres et les torrens qui dévorent chaque année le peu de plaine qui reste à chaque vallée sont bien propres à détourner les habitans de ce genre de culture.
Mais, en échange, le pays ne manque pas de paturages qui font la principale richesse des communes qui avoisinent les véritables Alpes. Cependant, ces paturages, diffèrent de ceux qu’on parcourt avec tant de plaisir sur les Alpes de la Suisse et de la Savoie. Le soufle brulant du midi qui fait que les espéces d’animaux sont plus petites et plus séches dans ces contrées, opère le même effet sur les végétaux ; ils sont plus petits, sur ces montagnes maritimes, plus grêles, moins serrés, et sont en général peu propres à rendre le lait butireux, ce qui fait que dans ce département ou se contente de faire des fromages qui sont d’un très bon gout et qui seraient peut être meilleurs encore si l’on y prenait plus de soin.

On ne rencontre pas non plus, en parcourant ces Alpes-Maritimes, ni cette bonhomie des bergers de la Savoie, ni cette propreté, je dirai même cette élégance dans certains chalets. Ici, le berger et les troupeaux restent nuit et jour en plein air ; il y a seulement, à des espaces très éloignés, un misérable toit d’écorces d’arbres, à la hauteur d’un mètre de terre, servant à resserrer le lait et à s’abritter lorsqu’il fait de très mauvais tems, et qu’on détruit lorsque la campagne est finie. Ces bergers vivent ainsi isolés, au contraire des montagnes de la Suisse et de la Savoie, où on trouve plusieurs chalets réunis en forme de hameau. Ici tout est sauvage, comme les tristes rochers dont les antres servent souvent d’unique asile ; il faut pourtant en excepter les bergers qui mênent paitre leurs troupeaux sur les Alpes de la lisière de France, comme sur les montagnes d’Entraunes, de Saint-Dalmas le Sauvage et de Saint-Ethienne ; là on voit quelques chalets à demeure en maçonnerie et assez propres et commodes ; les bergers ont aussi un air plus agréable, et vivent davantage en société.

Les paturages sont divisés en paturages d’hiver et en paturages d’été ; ces derniers sont établis sur les véritables Alpes, et à leur pied, depuis les Appennins, sur les confins de la Ligurie, en suivant la concavité d’une espèce de demi cercle, jusqu’au terroir de Barcelonette, département des Basses Alpes, sur toute la lisière du Piémont. De ces paturages, il en est où le bétail ne peut demeurer que deux à trois mois de l’année, telles sont les montagnes comprises dans les Alpes primitives, comme Morté, Cimetta, Carbone, etc., (terroir de la Briga), Col Bertrand, Col Létas, Col de Tende, Col de Sablon, etc., (terroir de Tende), Col Salaise, Col Frema Morta, Col Fenestre, Col Molières, Col Sainte-Anne, Col Douan, la Postigliole, Sauteron, Malmorta, Col de Fer, Col de la Magdelaine, Salsa Morena etc. en suivant la chaine des Grandes Alpes, du sud-est au nord-est, depuis Tende jusqu’à Saint-Dalmas-le-Sauvage, frontière à la fois des bassins des Alpes et du Piémont.

Il en est d’autres, sis sur les chaines si multipliées des Alpes secondaires, où le bétail peut paitre depuis prairial jusqu’à la fin de vendemiaire, et même pendant tout le mois de brumaire, suivant les années. Telles sont, en partant toujours du sud au nord, les montagnes de la Tanarde, Marta, Gions, Gordolasca, Col de Pal, etc. et principalement les belles et riches montagnes de Guillaume, Péone, Beuil, Ilonse, Thierri, Vilars, Massoin. Le voyageur parcourant les vallées étroites formées par les diverses riviéres, et dans lesquelles se trouvent placés les différents chefs-lieux de communes, ne voit à droite et à gauche que des rochers décharnés qui s’élèvent d’une manière menaçante. On ne s’attendrait pas à trouver au-dessus de ces squelettes la nature plus belle et plus animée qu’elle ne l’est à leur base.

Il faut observer que tous ces paturages, même des Alpes secondaires, ou sont tournés au nord et au nord-ouest, ou protégés contre les vents du Midi par des montagnes plus élevées, de sorte qu’ils ont toujours une fraicheur agréable ; mais en les traversant, à mesure que vous venez à découvrir les plaines maritimes, vous rencontrez de nouveau la sécheresse, l’herbe courte, maigre et rare, le rocher décharné.

Ce sont là les paturages d’hiver ; la végétation attend la fraicheur et l’humide de cette saison pour s’y montrer, et la nature y est belle à son tour, tandis qu’elle est ensevelie sous les neiges, à une très petite distance, au revers Nord de la montagne ; un été vous n’y rencontrez que la lavande, le serpolet, le thim, le romarin, le buis, le genet, etc. dédaignées par la brébis, et quelques scabieuses très maigres ; en hiver, elles sont fournies de toutes les plantes chicoracées recherchées par le bétail.

Ces paturages d’hiver sont d’une très grande étendue, puisqu’ils occupent toutes les Alpes voisines de la mer, et tous les revers méridionaux de celles qui en sont plus éloignées : on peut les évaluer à la moitié des paturages proprement alpins et pouvant suffire à un hivernage de 6 mois, pour 100 000 têtes de moutons, d’agneaux, de chèvres, et chevrots. On les subdivise par rapport à leurs herbes, à leur ligne plus ou moins perpendiculaire, et à la nature des bestiaux qui les fréquentent, en paturages de brebis, et en paturages de chévres ; la chévre plus agile, moins délicate, va brouter là, ou la brebis ne saurait pénétrer ; ainsi, au milieu de ces rochers inaccessibles et pelés durant l’été, rien n’est perdu, pendant la saison de l’hiver.

Valeur en argents, du produit des paturages

Tous les différens pacages, soit qu’ils appartiennent aux communes, et on les connaît alors sous le nom de bandites, soit qu’ils soient la propriété des particuliers, s’afferment chaque année, et sont d’un très grand produit pour ceux qui les possèdent. Produit d’autant plus précieux que la nature seule en fait tous les frais, qu’il n’a rien à craindre de l’intempérie des saisons, et qu’il ne peut être diminué que par les causes qui diminuent le bétail, telles que la guerre et les épizooties ; on jugera de son importance en considérant que les paturages d’hiver sont affermés jusqu’à quatre francs par tête de bétail pour toute la campagne, et que les bergers seuls du village de Briga, ayant tous les ans de 13 à 18 000 têtes, dépensent pour ce seul objet la somme de 60 à 72 000 francs environ ; en ajoutant à cette somme celle d’environ 120 000 pour 30 000 têtes que peuvent y conduire les bergers de Tende, Molinetto, Saorgio, Breglio, Castillon, Sospello, Belvédére, etc., l’on a déjà une somme totale de 180 a 192 000 francs seulement pour les paturages d’hiver.
Les paturages d’été coutent infiniment moins par tête de bétail parce qu’ils ne peuvent être occupés que pendant une très petite partie de l’année ; ainsi, ceux des Hautes Alpes ou le bétail ne peut séjourner que pendant deux mois et demy (depuis le 15 messidor jusqu’à vendemiaire) sont à plus bas prix et ne coutent que 37 francs 50 centimes par pasteur qui est de 50 têtes de menu bétail (dans toute la partie orientale et méridionale du département, confinant avec le Piémont et la Ligurie, on compte le bétail par pasteur, pastour, au contraire dans celle, ouest et nord, qui avoisine la France, on compte par trentenier, c’est-à-dire par le nombre de trente ; un berger est censé, ici, avoir 2 trenteniers sous sa garde, comme là, avoir 50 individus ; mais le plus souvent les bergers de la partie occidentale ont sous leur garde, 3 trenteniers et ceux de la partie orientale 2 pasteurs). Mais si ces pacages coutent moins, leur produit n’en est pas moins important pour cela, soit à cause du double de leur étendue, soit parce qu’ils sont plus riches en herbes, et soit aussi par la quantité de fourrage qu’on y coupe chaque année et qui entre dans les granges d’un grand nombre de communes qui possédent les meilleures montagnes et qui en nourrissent leur gros et menu bétail durant la saison de l’hiver. On peut estimer, d’après des renseignements pris sur les lieux dans chaque commune (ce montant est peut-être inférieur au nombre réel mais il est pris d’après les déclarations), le montant du menu bétail, pour l’année actuelle (an X), à 80 000 brebis et moutons et à 30 000 chévres, ce qui donne un total de têtes de menu bétail à 110 000 auquel il faut ajouter le total du gros bétail que l’on estime à trois menus par individu, lequel étant de 16 537 donnerait autres 49 611 petits individus ce qui suppose la somme totale de menu bétail indigène de 160 351 individus qui taxés, à 55 centimes par tête, donne la somme en numéraire de 88 193 francs 5 centimes pour les paturages d’été.

Mais il faut considérer qu’outre le bétail du pays, il vient chaque année sur les bonnes montagnes de Saint-Ethienne, la vallée d’Entraunes, Guillaumes, Péone, Beuil, etc. la quantité d’environ 300 bergers de Provence, lesquels menant avec eux l’un dans l’autre 100 brebis ou moutons chaque, donnent une augmentation de 30 000 qui fournissent (à supposer que les étrangers ne payent pas plus que les indigènes) la somme de 16 500 francs qui ajoutée à la première, donne celle de 104 693 francs 5 centimes.

Et comme des quantités ci-dessus nous n’avons extrait de celle de 50 000 qui vont chercher leur nourriture d’hiver dans des communaux étrangers, parce que les leurs ne fournissent pas le fourrage nécessaire, et qu’il est juste d’assigner la même somme de 4 francs, pour la nourriture, durant cette saison de chaque individu des 110 351 restant, hivernés chez eux ; cela nous fournit une somme de 441 404 francs, qui ajouté à la précédente de 200 000 francs, donne une somme de 641 404 francs.

Ainsi donc, au compte que nous venons de faire, seraient censés valoir annuellement les sommes suivantes :
Hiver 641 404,00
Eté 104 693,05
Total 746 097,05 francs

Dans le fait, les paturages sont une des propriétés dont le produit est le plus sur et le plus liquide ; il est évident pour celui qui parcourt chaque commune de ce département qu’il y a plus d’aisance et moins de véritables pauvres dans celles qui sont les plus riches en ce genre de terrain que dans les communes qui mettent toute leur espérance dans les oliviers, comme on en verra ailleurs la raison ; les communaux forment une rente municipale plus ou moins conséquente suivant leur étendue, et les pâturages des particuliers fournissent un revenu net annuel à leur propriétaire qui les afferment pour un certain nombre d’années à des bergers étrangers, et font conduire leurs troupeaux dans les paturages communaux dont la taxe est toujours très inférieure. En général, une montagne de (81 sétérées) 12 arpens et demi, est affermé 800 francs annuels, plus 12 rubs de fromage. Peut-être que si ces particuliers ne préféraient pas un produit assuré et acquis sans peine à un produit industriel, retireraient-ils un plus grand bénéfice de leur propriété, ainsi que nous l’examinerons plus bas. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en employant à la fois et leurs paturages et ceux de la commune, ils laissent peu de moyens aux petits particuliers pour nourrir leurs troupeaux et en accroitre le nombre ; ce qui fait qu’ici comme dans les parties riches en huile, les particuliers aisés absorbent les trois quarts des ressources de ceux qui le sont moins.

Des bergers

Partout dans le département où il y a des paturages, le peuple est à la fois agriculteur et berger. Il est à présumer que la vie pastorale fut originellement l’unique profession des peuplades établies sur les flancs des grandes Alpes, et entrainées à cette occupation par les gros paturages et les forêts nombreuses dont la tradition et quelques anciens titres annoncent que ces vallées étaient couvertes. Les Templiers et les Bénédictins dont on rencontre partout tant de vestiges, ayant opéré de grands défrichements engagèrent probablement petit à petit ces bergers à la vie agricole. Ils les réunirent dans des hameaux et des chemins s’étant ouverts pour le commerce et les communications avec les nations voisines, ces peuples commencèrent à participer aux avantages de la grande société et abandonnèrent la vie uniquement pastorale pour se livrer en même tems à la culture des terres, tellement qu’aujourd’hui, dans tout le département, à part deux communes, celle-ci forme la principale occupation, à laquelle l’éducation des troupeaux n’est qu’accessoire et livrée à des valets, et aux enfans qui ne sont pas encore en age de cultiver les champs.

Mais le village de Briga, sis au pied du commencement de la première chaine des Alpes secondaires, couronné par ces fameux pics si souvent visités par les armées qui veulent s’ouvrir un passage en Italie par les Alpes, et les Appennins dans une vallée arrosée par la petite rivière appellée Levenza à 2 heures, au sud-est de Tende, hors de toute communication avec les étrangers, a conservé ces mœurs antiques, et un goût décidé pour la vie pastorale. De 500 familles dont cette peuplade est composée, 300 en font leur unique profession de tems immémorial et de père en fils. Ce genre de vie favorise évidemment la population et l’aisance de la commune puisque d’après les registres publics le nombre des habitants s’est accru de 500 depuis 50 ans et qu’en général le peuple y paraît moins malheureux qu’ailleurs, surtout dans les familles de bergers. Les paturages et les récoltes en grains n’étant pas suffisans pour l’entretien de la population, les deux tiers, hommes, femmes, enfans vont chaque année, en automne, conduire leurs troupeaux et s’établir dans les parties maritimes, jusqu'à la belle saison. Là ils fournissent aux villes de toute cette côte de France et de la Ligurie, les agneaux, les chevrots, le lait et la laine de leurs troupeaux, en échange du prix des paturages, sur lesquels sans doute ils doivent encore prélever un profit considérable, puisque de retour chez eux, ils achètent successivement les biens des bourgeois et des simples laboureurs dont l’envie finirait par chasser les bergers, si ceux-ci n’étaient pas les plus forts.

Le grand prix que mettent nécessairement à la conservation de leurs troupeaux les bergers de Briga, et la vie errante qu’ils mènent avec eux, depuis la fondation du village a du convertir en art la profession de berger. Aussi sont-ils de véritables pasteurs, tandis que les autres du département ne sont que de simples gardiens de troupeaux. C’est avec le plus vif intérêt qu’entouré dans la dite commune des principaux chefs bergers, à la tête desquels était le maire, j’ai appris toutes les difficultés que je ne soupçonnais pas dans ce premier état de nos pères ; que de soins n’exige pas l’éducation des agneaux, soit pour les conserver, soit pour les obtenir d’une belle espèce. Le bétail adulte est plus fort, mais il est sujet à des maladies qu’il faut savoir prévenir ou guérir par des remèdes simples. Le berger est obligé de prévoir les changemens de tems et de connaître non seulement la quantité de paturages qu’il faut pour tel nombre de bétail, mais encore la qualité et les plantes qui peuvent lui servir de médicamens etc. etc. J’eusse désiré qu’on s’occupat aussi des moyens de perfectionner la laine, mais on a trouvé ce soin inutile, comme nous le verrons plus bas. Les travaux et les finesses de la laiterie sont abandonnés aux femmes. Ce n’est que par une longue suite de conseils et d’expériences que le jeune berger peut parvenir à la perfection de son état ; les peres y conduisent successivement leurs enfants par le précepte et par l’exemple, et le vieux maire de Briga me disait qu’il n’oserait encore fier l’éducation des agneaux à son fils, agé de 25 ans, quoi qu’il eut constamment gardé des troupeaux depuis l’age de 8 ans.

Du reste, cette vie de berger est très dure et il faut y être accoutumé dès l’enfance dès l’age de 8 ans à 10 ans jusqu’à celui de 60 et plus, il est rare de coucher ailleurs que sur la dure, et le plus souvent en plein air. Dans l’époque ou les brebis mettent bas, et jusqu’à ce que les agneaux soient assez forts, il faut être vigilant nuit et jour à les visiter. La nourriture est du pain et du laitage le plus grossier, pas toujours même de ce dernier ; il n’entre que très rarement quelque chose de chaud dans l’estomac. L’habillement est, en hiver, un gilet de drap de trois lignes d’épaisseur, fort long, des culottes de même, et des bas de laine roulés sur les genoux ; un bonnet de laine à la tête. En été, la forme est la même, mais le drap est de demi laine, c’est-à-dire, un tissu de fils de chanvre en long, avec de la laine en travers ; ce drap d’été n’a pas moins de deux lignes d’épaisseur. Par dessus ce vétement, se met au besoin, en hiver et un été, un manteau surmonté d’un capuchon fait exactement comme un manteau de capucin sauf qu’il est plus long, tout d’une pièce, et d’un tissu encore plus épais et plus serré que celui du gilet ; il pèse de 25 à 30 livres du pays. Ce drap est fait dans la maison du chef berger, qui le vend à ses domestiques ; une culotte et un gilet sont vendus 5 francs piéce, et doivent durer 5 ans, le manteau coute de 15 à 18 francs et dure à proportion ; ce drap est fait à l’épreuve de la pluie ; un manteau résiste 24 heures, avant d’être percé de part en part, il pèse alors 150 livres du pays. Du reste, la laine de Briga peut plus que toute autre donner au drap cette propriété, car elle est rude, lisse et plutôt semblable au poil de chèvre qu’à de la laine ; aussi les bergers des autres communes se servent de cette laine pour leurs manteaux.

Avec ce mépris des commodités de la vie et cette habitude de coucher pendant une longue suite d’années, tant au sec qu’à l’humide, le berger de Briga vit très long-tems sans connaître d’autres maladies que celles d’une vieillesse avancée ; malgré qu’il soit souvent exposé à l’humide, il n’est pas sujet aux douleurs rhumatismales ; il est seulement afligé quequefois de fiévres d’accès autumnales lorsqu’il a conduit ses troupeaux dans le voisinage du Var ; et ces fièvres l’accompagnent jusqu’à son retour dans son village, dont l’air sec et vif les dissipe bientôt.
Les troupeaux quoique très fatigués, sont également accoutumés à une vie dure ; comme l’on ne pourvoit jamais à leur subsistance par des amas de fourrage ils paissent à leur aise sur les montagnes, été et hiver, tant que le tems est beau. ; mais lorsque le tems est mauvais, ils restent quelques fois deux à trois jours sans manger, et sans paraître en soufrir. Ils sont pareillement accoutumés à supporter la soif, car il n’y a pas toujours de l’eau dans le voisinage du paturage qui est en exercice. Lorsqu’il pleut un peu fréquemment, on ne mène loin le bétail que tous les quatre à cinq jours ; l’herbe humide ou du moins rafraichie par les vents frais qui suivent les pluies suffit pour le désaltérer ; plus souvent l’herbe est désséchée par un soleil brulant, et par les vents du sud et de l’est qui règnent tout l’été, et alors les bergers et les troupeaux sont obligés d’aller chercher péniblement, au moins une fois chaque deux jours, une source lointaine, sinon l’herbe ne se digére pas ; heureusement, dans ces plages méridionales, la nature supplée au défaut de pluies par des rosées abondantes qui tombent matin et soir, et souvent toute la nuit.

Ces habitudes sont communes aux bergers des autres villages du département, à quelques différences prés. A Tende, village le plus voisin de Briga, la tradition porte que le population n’était également composée autrefois que de bergers et de laboureurs ; un chemin ayant été fraié par le col de Tende pour le passage en Italie, surtout depuis que ce comté avait été réuni à la maison de Savoie, une nouvelle profession s’y acheva, ce fut celle de muletier, qui devint successivement la plus accrédité, tellement qu’aujourd’hui, sur 309 familles dont la population est composée, il y en a plus que 50 entiérement livrées à la profession de berger et ayant des mœurs communes avec les bergers de Briga. Saorgio avait aussi, autre fois, beaucoup de bergers. Aujourd’hui, de 460 familles, il n’y en a plus que 48 livrées à cette profession, et qui vont pareillement en hiver dans les plages maritimes. Depuis Saorgio, jusqu’à Nice, les oliviers donnent une part d’autres ressources, et de l’autre les paturages conviennent peu aux brebis sauf dans les territoires de Sospello et de Molinello dont la position les fait jouir à la fois des paturages d’hiver et de ceux d’été.

Du coté du nord et du nord ouest, les communes de Beuil, Peaune, Robion, Ilonse, et quelques autres environnantes, commencent à donner aussi une attention particulière à l’éducation des bestiaux, à cause de l’abondance et de la richesse de leurs paturages, mais moins qu’à Briga, qui est la seule commune du département ou l’état des bergers soit une profession indépendante. Dans ces communes, à Beuil principalement, partie du bétail y séjourne été et hiver, et partie va passer dans les départements méridionaux de la ci-devant Provence La saison de l’hiver avait 160 chefs de famille dont cette commune est composée, moitié ne possédant rien, s’expatrie annuellement, hommes, femmes et enfans, sur le commencement de vendémiaire, pour ne revenir qu’en prairial suivant. Ils vont vivre du produit des troupeaux qu’ils emmènent avec eux. Ce genre de ressource n’est connu à Beuil et dans les communes environnantes que depuis environ un siécle. Il s’en expatria d’abord un petit nombre, mais puis soit par les avantages qu’on en retirait, soit que le pays fut devenu plus mauvais, l’exemple a gagné et chaque année il s’en expatrie davantage, ne restant en hiver dans le village que ceux qui ont assez de fourrage pour alimenter un nombreux troupeau. On connait ces émigrans sous le nom de Provençaux, ou sous celui de Costegiaires. Cette classe d’habitans qui se repose ainsi uniquement de la nourriture de sa famille sur le produit du menu bétail en a considérablement augmenté le nombre, tellement qu’en été ils occupent la plupart des paturages communs, tandis que l’habitant possédant biens et payant contribution est privé de cet avantage pour le bétail qu’il a hiverné et est obligé de recourir aux paturages des particuliers, ce qui est une vexation réelle des non possédans contre ceux qui possèdent et ce qui s’oppose, sous plus d’un rapport, à l’augmentation de population et à la félicité de ces communes. Il existe pareillement dans les autres communes des bergers qui s’émigrent annuellement durant l’hiver, entrautre à Péone et à Robion, cependant en beaucoup moindre quantité. Ce n’est même que depuis 12 à 15 ans que cet usage s’y est établi ; mais ce qu’il y a de plus dangereux, c’est que le nombre en augmente chaque année, et qu’il a triplé depuis la Révolution ce qui dépend de la diminution des moyens d’exister et surtout de celle des fourrages et de la destruction successive des paturages communaux par les causes dont nous avons déjà parlé, et auxquelles il est instant de porter un prompt remède pour prévenir l’anéantissement de toute prospérité dans les communes de la montagne.

En quittant Beuil et les communes environnantes, je n’ai plus trouvé de familles adonnées uniquement à la culture des troupeaux. Ce soin se trouve partagé entre les autres travaux de la campagne, parce qu’en hiver le bétail reste sur le lieu et exige une moindre surveillance que lorsqu’il est conduit dans un autre territoire. Il ne paraît pas même que le maitre l’accompagne lui-même sur les montagnes durant la saison de l’été ; ce soin est laissé à des gardiens à qui on donne 20 francs de gages, pour six mois, avec la nourriture et deux paires de souliers ; les principaux propriétaires ont un domestique maitre qui a la surveillance sur les autres valets, à qui on donne, outre la nourriture, 100 francs de gages, pour toute l’année, et qui ne coutait que 50 à 60 francs avant la Révolution. Ayant calculé à Briga, avec les anciens de la profession, à combien pouvaient se monter annuellement la nourriture, et l’entretien complet d’un berger, nous avons eu la somme de 300 francs, il ne paraît pas que la dépense d’un berger de Beuil doive monter aussi haut, car il est plus mal vétu et nourri avec de plus mauvais pain que le berger de Briga. Les bergers de Provence, qui fréquentent les montagnes d’Entraunes, dépensent davantage ; ils ne vivent aussi que de pain et de lait, mais ils ne mangent que du pain de froment très blanc. Ayant logé, à Entraunes, chez le boulanger qui leur fournit leur pain, j’ai appris de lui que chaque berger mangeait par jour deux pain et deux livres chaque dont le prix était en l’an IX de 45 centimes. Cinquante de ces bergers, y montaient annuellement, avant la guerre, et y restaient environ quatre mois ; la simple fourniture de leur pain à fait faire à ce boulanger une petite fortune. Les autres bergers vivent de pain de seigle.

Des bêtes de somme et du gros bétail du département, avec le prix comparatif

Des bêtes de somme

Le département n’a jamais été propre pour les chevaux. La difficulté de ses routes, les travaux pénibles que les bêtes de somme doivent supporter, et la rareté de fourrages, font qu’à part quelques chevaux de luxe et les chevaux des étrangers, nourris dans la campagne de Nice, on ne rencontre pas un seul cheval, en parcourant le département, à part ceux de la gendarmerie, que je n’ai pas compris ici, et qu’on a même soin de laisser entiers, pour les rendre plus propres à gravir les montées qu’on rencontre à chaque pas.

Mulets et mules

L’apreté des lieux a déterminé la préférence que l’on a donné de tout tems dans certaines communes, aux mules plutot qu’aux mulets. Dans toute la vallée de la Tinée et endroits circonvoisins, on n’emploie que des mules. Les chemins comme on l’a vu ailleurs, y sont si escarpés, si étroite et si précipiteux, que l’on y a besoin d’animaux dégagés, à pieds petits et à jambes fines, peu écartées l’une de l’autre en faisant le pas. On ne peut d’ailleurs jamais les charger comme en plaine, car le poids doit être d’une telle portée et d’un tel arrangement sur le dos de l’animal, qu’il tienne peu de place, et qu’on puisse le diriger à gauche lorsque l’escarpement est à droite, et à droite lorsqu’il est à gauche ; or ces mules sont d’une souplesse, d’une légereté et d’une sureté admirable au milieu des précipices qui font horreur à celui qui les voit pour la première fois.

Sur la grande route de Nice en Piémont, et dans les communes circonvoisines, on ne trouve que des mulets qui font tout le service des transports, vu que le grand nombre de montées rend cette route peu propre pour les charrêttes qui d’ailleurs ne pourraient passer le col de Tende et devraient s’arrêter à Tende ; pour leur donner plus de vigueur, on a soin, comme je l’ai déjà dit, de les laisser entiers. Le nombre de ces mulets était plus considérables avant la guerre, depuis Tende jusqu’à Nice, soit parce qu’il fesait plus de commerce, soit par rapport au transport de sel de gabelle, de Nice dans tout le département, et en Piémont. Durant la guerre, les fréquentes réquisitions et la cessation de tout commerce, l’avaient réduit à moins de la moitié de ce qu’il est sur l’état précédent, et ce n’est que depuis la paix qu’il a commencé à revenir insensiblement au taux où il était ci-devant, et qui est nécessaire, vu que toute la montagne est obligée d’aller se fournir à Nice de ses premiers besoins et d’y porter son huile et ses autres denrées.

Tant les mules que les mulets sont d’une belle race, ce sont ordinairement les maquignons des départements du Var, des hautes et basses Alpes qui les fournissent dans les foires d’automne, à 6 mois de terme, c’est-à-dire, qu’ils en attendent le payement à l’époque de la vente des huiles. La cote voisine de la Ligurie et la vallée d’Entraunes fournissent aussi quelques mules.
Indépendamment de l’industrie des draps, la vallée d’Entraunes a encore celle de faire pouliner les juments. C’est la seule partie du département ou l’on en trouve, à cause sans doute de la bonté et de la fraicheur de ses paturages.

Ces jumens sont de belle race poitevine et bourguignone ; on va les chercher à deux journées dans le Département des Hautes Alpes, à Guillestre, dont les habitants font ce commerce. Quatre étalons bourriques, qu’on conserve dans la vallée suffisent pour les saillir, et les jeunes poulaines qui en proviennent sont conduites à la foire de Saint-Ethienne d’où l’on rapporte en échange des vaches et du chanvre.

Malheureusement, ces étalons sont toujours les mêmes, toujours du pays, et d’une espèce inférieure ; il serait donc fortement à désirer qu’on les changea de tems en tems et qu’on s’en procura de pays étrangers, et de la plus belle race.

Plus malheureusement encore, les fourrages de cette vallée éprouvent chaque année une diminution considérable par la destruction que le Var et les torrens apportent dans ses prairies, ce qui la forcera à l’avenir de renoncer à tenir des jumens si l’on ne fait contre l’impétuosité des eaux, des travaux solides, dont ces communes ne sont pas en état de supporter la dépense.
Le prix des mulets et mules était, en 1790, de 120 à 250 francs chaque. Il est, en l’an X, de 230 jusqu’à 350 francs suivant la qualité. Il m’a été impossible de savoir, même par approximation, combien on en achetait chaque année.

L’âne, comme l’on voit, est la bête de somme la plus multipliée dans le département, parce quelle est la plus facile à nourrir. L’espèce en est très belle dans plusieurs communes du département sises le long du Var, et sur la cote de la Ligurie ; on l’extrait pareillement des départements des Hautes et Basses Alpes. Dans la campagne de Nice, où chaque paysan a son âne, cet animal est d’une petite race. Dans les vallées de la Nervia, et de la Roya, on donne la préférence aux ânesses ; les ânons du pays sont fort petits.

L’âne de belle race coutait 100 francs en 1790 en l’an X, il se vend 130 francs et plus.
L’âne du pays valait en 1790 de 50 à 60 francs et il se vend en l’an X, 70 francs.

On trouvera dans les chapitres suivants que le nombre des brebis a diminué d’environ un tiers ; celui des bœufs et vaches n’a pas suivi le même déchet ; il avait pourtant été réduit au tiers de ce qu’il était en 1790 dans les contrées qui avaient été le plus affligées du passage des troupes, et de l’épisootie, comme le long de la grande route de Nice en Piémont, et le long des vallées de la Vésubie et de la Tinée, mais depuis la paix il est bientôt remonté au taux nécessaire pour le labour et pour l’engrais des terres, et je ne doute pas qu’il ne surpasse bientôt la quantité de 1790, dans les vallées riches en gros paturages, parce que plusieurs terres étant restées en friche durant les troubles, on sentira le besoin où l’on est de les réparer. D’une autre part, j’ai trouvé que plusieurs communes qui avaient plus de brebis avant la guerre, et ne tenaient pas des vaches, en tiennent maintenant, de sorte que cette augmentation compense la diminution qu’on observe d’un autre coté.

Dans le courant de la guerre, le gros bétail des contrées du département, que j’ai énumérées a été attaqué deux fois d’une épizootie terrible, apportée par des bœufs venus de la Hongrie par le Piémont, pour le service des troupes austro-sardes campées sur ces montagne ; même qui a dévasté les troupeaux de la Lombardie et Piémont. Elle portait l’inflamation et la suppuration dans les viscères du bas ventre, et elle était d’autant plus meurtrières qu’on ne prenait aucune précaution préservative et que le pays manque absolument d’experts vétérinaires.

Les bœufs sont d’une assez belle espèce, mais les vaches sont petites, excepté au Molinet, et à Saint-Ethienne. Ce sont encore des restes des races du Piémont.

Dans les champs dont la pente n’est pas trop rapide, et ou le terrain n’est pas rocailleux, on fait trainer indistinctement la charrue par des bœufs, des vaches, des mules ou des jumens ; mais dans les champs rapides et dont la terre est dure et remplie de cailloux, on n’emploie que des bœufs très forts et que l’on ferre ; on voit, à cet effet, à la porte des communes, deux poteaux, auxquels on les attache pour leur appliquer à chaque division de leur pied un morceau de fer, ovale.

Chaque tête de bœuf était évaluée en 1790, de 90 à 108 francs il se vend aujourd’hui de 120 à 130 francs.

Chaque tête de vache était, en 1790, de 60 à 72 francs ; en l’an X elle vaut de 80 à 120 francs.
Chaque tête de veau se vendait en 1790, de 18 à 20 francs et elle vaut en l’an X de 20 à 25 francs.

Les particuliers qui ne sont pas assez riches pour avoir des bœufs en propre, en louent, pour tous le tems des travaux de ceux qui en ont beaucoup, et qui font une spéculation de ce trafic. Le prix du loyer est de (2 settiers) 8 décalitres de froment, payés à la récolte, le settier se vendait en 1790, 7 francs et en l’an X il s’est vendu 12 francs de sorte que le propriétaire d’un bœuf en retirait avant la guerre, une rente de 14 francs, et qu’il en a retiré cette année, une de 24 francs. Cet usage est établi dans les communes situées entre le Var et l’Estéron, et entre le Var et la Tinée.
Les bœufs et vaches sont nourris pendant l’hiver avec de la paille hachée, et c’est cette facilité qu’on a de nourrir les vaches, qui fait qu’on les préfère dans certaines communes aux brebis qu’il faut nourrir avec du foin.

Produit des vaches

En hiver, la vache n’est pas d’un grand produit parce que la paille fournit peu de lait, mais cela est compensé dans la belle saison ; les bonnes vaches de Saint-Ethienne donnent jusqu’à 11 rubs (86 kilogrammes) de fromage, chacune, annuellement ; mais il en est dans le département, qui en fournissent à peine quatre ; en prenant la quantité de six rubs (47 kilogrammes) de fromage, comme le moyen pour les bonnes et les mauvaises, nous avons en total de fromages fournis par les vaches du département, la somme de 43 302 rubs, desquels en prélevant le tiers, qui avec les remises, suffit à la consommation des propriétaires, et qui se monte à 14 434 rubs ; reste en vente la quantité de 28 868 rubs qui, à six francs le rubs, comme ils se sont vendus cette année, donnent la somme annuelle de 173 208 francs.

En ajoutant à cette somme le produit de la vente de 2 500 veaux males et femelles, à 20 francs chaque, prix moyen, et qui donne celle de 50 000 francs, nous avons 233 208 francs pour produit annuel de ces 7 217 vaches.

Auquel il faut ajouter l’engrais qui est d’une grande considération, et une portion de la nourriture fournie par leur laitage durant toute l’année.

Les peaux de bœufs, vaches et veaux qui ne sont pas livrées aux taneurs, servent les premières à faire des chamberons, c’est ainsi qu’on nomme la chaussure ordinaire de la plupart des habitans des communes situées entre la Tinée et le Var, qui consiste à s’envelopper la plante des pieds avec un morceau de peau qu’on attache avec des cordes autour du pied et du bas de la jambe ; on emploie les peaux de veaux à recouvrir les bas des montures.

Il serait de la plus grande nécessité qu’on pensionnat un vétérinaire, pour chaque arrondissement les maladies du gros bétail et des bêtes de somme étaient livrées à l’impéritie des maréchaux ferrans dont la plupart ne savent pas lire.

Accident du petit bétail et manière de le tenir

Avant de parler de la tenue du petit bétail et du revenu qu’on en tire, je dois dire un mot des accidens auxquels il est exposé, et qui détruisent en un instant toutes les espérances du berger. Ce sont la mauvaise nourriture, la grêle, la foudre, les animaux de proie, et les épizooties.
Dans un pays tout hérissé de montagnes, il est dans l’ordre que les orages y soient fréquens ; aussi, est-il rare, comme je l’ai déjà dit, que la grêle ne tombe chaque été dans quelque commune, en grains de la grosseur souvent d’un petit œuf de poule. Malheur alors au troupeau qui n’est pas à portée de quelque grange ; d’abord, le gibier en est détruit, et la plupart des brebis qui y sont exposées avortent de leur agneaux, et meurent quelque fois sur la place. Les dommages causés par la foudre sont encore plus fréquens, car on y est très exposé sur ces hauteurs durant l’été et l’automne ; en les parcourant on m’a fait voir nombre d’arbres qui en avaient été frappés, et il est rare que quelque partie de troupeau, avec le berger, n’en soit annuellement la victime. On m’a fait voir, en passant contre la montagne de Toraggio, terroir de Pigna, une place ou dans le mois d’août de 1793, la foudre fit périr 105 brebis d’un seul coup, sans les endommager ; en quoi l’on voit combien il est essentiel que le berger sache prévoir les changements de tems, science, il est vrai, souvent inutile, à cause de la promptitude avec laquelle un orage se forme, dans ces climats.

Animaux et proie

Les loups et les aigles se sont fort multipliés dans ces montagnes, depuis la Révolution, et portent, chaque année, de grands dommages dans les troupeaux ; la plupart des communes étaient dans l’usage de donner une gratification de neuf francs à quiconque lui apporterait une tête de loup, et de quatre francs pour un aigle. Ces récompenses ont été peu usitées durant la guerre, par la misère des tems, et il est très important de tenir la main à cet encouragement, et d’ordonner, dans certains tems de l’année, la chasse aux loups, comme cela se pratique dans quelques départements.

Quantité de nourriture

Quelque abondans que soient les paturages d’une commune, ils ne peuvent cependant suffire qu’à un nombre déterminé de bétail ; il est nécessaire que l’administration locale détermine le nombre, sinon le bétail mal nourri dépérit. C’est ce qui est arrivé quelques fois dans certaines communes, durant ces années passées, où par défaut de cette juste économie le bétail a singulièrement souffert. Il est démontré par l’expérience qu’une brebis mal nourrie en été, coute beaucoup plus à nourrir en hiver, qu’elle perd souvent son agneau et son lait, et qu’elle donne une laine de qualité et quantité inférieure, outre qu’elle manque de cet embonpoint qui la fait rechercher dans les foires ; ces communes et Beuil, entrautres, qui s’est le plus ressenti de ce défaut de police, vont s’occuper, à ce qu’elles m’ont assuré, d’un règlement à ce sujet.

Epizooties

Les brebis sont sujettes à une maladie de la peau à laquelle les gens du pays donnent le nom de picotte, qui lorsqu’elle paraît, est épidémique et contagieuse, accompagnée de fièvre violente avec transport au cerveau ; d’après la description que l’on m’a faite de ses symptomes il paraît que cette fièvre erranthématique est la même que celle de la petite vérole qui attaque l’espèce humaine ; les chèvres ont pareillement été sujettes, en l’an VIII dans quelques communes telles que Roccabiliera, à une maladie éruptive épidémique qu’on a cru être la galle, qui en a fait périr un grand nombre, et qui pourrait bien être la même que la première, puisqu’elle a paru la même année. Ces maladies ajoutées à un désastre plus grand encore, l’enlévement forcé des troupeaux fait par les différentes armées qui ont parcouru ce pays, en avait réduit le nombre à moins de la moitié ; et quoique la paix l’ait déjà fait augmenter, il n’est encore, en l’an X qu’aux deux tiers de ce qu’il était avant la guerre.

Du reste, j’ai observé, en prenant, à ce sujet des épizooties du menu bétail, des renseignements dans les différentes communes, qu’elles n’ont eu lieu que dans les endroits ou on les tient à l’étable pendant tout l’hiver, et où il y a moins de vigilance et d’attention de la part de ceux qui en sont chargés ; les troupeaux qui parquent dans toutes les saisons en sont rarement atteints et ceux de la Briga les plus nombreux du département n’en ont, ainsi que plusieurs autres, pas souffert.

Indépendamment des épizooties les montagnes qui bordent les rivages de la mer, et celles qui se trouvent le long du Var, sont exposées durant les mois de prairial, messidor et thermidor, à des brouillards épais, froids et humides qui incommodent beaucoup le bétail qui s’y trouve exposé, et sur le foie duquel il porte particulièrement, en y produisant des engorgements.
Tous ces accidents joints aux enlèvements forcés s’étant beaucoup multipliés dans la dernière guerre, donnent la raison de l’ordre de la diminution du petit bétail.

Qualité du bétail

L’effet de la chaleur est le même sur le bétail que sur les hommes ; dans toutes les parties maritimes, les moutons et les chèvres sont d’une petite taille ; à mesure que l’on quitte le Midi et l’est, pour s’approcher du nord et du nord-ouest, on voit, avec plaisir de plus belles races, et il n’en est nulle part dans le département d’aussi belles qu’à Saint-Ethienne et Saint-Dalmas le Sauvage, qui sont les pays les plus froids de cette contrée. Déjà à la vallée d’Entraunes, séparée de Saint-Ethienne par le col de Pal, les espèces sont inférieures.

Tenue du bétail

Relativement à la tenue des troupeaux, nous avons déjà observé qu’il faut les diviser en troupeaux qui ne restent jamais à l’étable, ni été, ni hiver, et nos troupeaux qui passent à l’étable une partie de l’année. Nous allons considérer le tems que ceux-ci y restent dans les différentes communes avec la nourriture qu’on leur donne. Dans quelques unes, le troupeau reste 5 à 6 mois à l’étable nourri d’une mélée de foin sec, de paille, et de quelque peu de feuillages ; dans d’autres, il n’y reste que quatre à quatre mois et demis nourri de foin et de paille, sans feuillages, ce qui dépend de la longueur et de la rigueur des hivers. Dans quelques communes, comme à Saint-Ethienne et à Saint-Dalmas le Sauvage on les fait parquer en été ; dans la plupart des autres, on fait coucher été et hiver le bétail à l’étable ; à Saint-Dalmas le Sauvage, où la laine est plus belle de tout le département et où la paille est fort rare, le bétail n’est nourri que pendant les six mois d’hiver quand il reste à l’étable qu’avec du foin. A Saint-Ethienne, Isola, Robion, Saint-Martin et Chateauneuf d’Entraunes, où la laine n’est qu’un peu inférieure à la précédente, où on ne le nourrit pareillement qu’avec du foin et un peu de paille, réservant le feuillage pour les chévres, car on y a observé que ce genre de nourriture desséche les moutons, et produit une laine d’une qualité inférieure ; on a même pris soin dans ces contrées, où la laine est une récolte conséquente, de leur réserver le premier foin, comme le meilleur, car on y a pareillement observé que le foin d’automne, surtout s’il a été mouillé après qu’on l’a coupé, est peu propre à leur nourriture, et qu’il donne de mauvaises laines.

Des chévres

Tandis que le nombre de brebis a diminué dans certaines communes (il a augmenté, au contraire, dans quelques unes, telle que Briga, où il n’était que de 12 000 en 1790, et est de 16 000 en l’an X). Celui des chèvres est devenu plus considérable ; il est aujourd’hui dans tout le département de 36 610, et il n’y en avait que 29 210 avant la guerre. Des édits de l’ancien gouvernement, fondés sur le dommage que ces animaux portent aux jeunes arbres, les avaient proscrits, ou du moins en avaient extrêmement limité le nombre, avec tant d’entraves pour celles qui étaient permises qu’on aurait cru que les habitans s’en seraient dégoutés. Cependant il y en avait, malgré ces édits. Lesquels, étant tombés en dessuétude par le changement de gouvernement, ont laissé une libre carrière à l’ancien penchant pour cette classe d’animaux domestiques, dont tous les administrateurs de communes se plaignent avec juste raison, et demandent la suppression.

Nous avons démontré dans la première section de cet ouvrage, d’après l’inspection locale, l’état de destruction des forêts du département, de laquelle résulte l’éboulement des terres de toutes les montagnes et collines. La chévre en broutant les sommités des jeunes arbres, arbustes et broussailles dont elle est extrêmement avide, est un obstacle continue à la reproduction des forêts, et augmente chaque année le dommage. La chévre d’ailleurs ne présente pas autant d’avantages que la brebis ; 1er la toison n’est d’aucune ressource, car on en tire aucun parti dans le pays ; 2ème l’engrais dont on a un si grand besoin n’est pas fourni en si grande abondance par la chèvre que par les autres espèces de bestiaux, car la chèvre allant chercher sa nourriture dans des lieux inaccessibles, y dépose ses excrémens durant le jour, et comme elle ne marche pas par bandes comme la brebis lorsqu’elle va brouter, il en résulte que ses crottins sont épars et souvent de nulle utilité.

D’autre part, la chèvre rend au petit propriétaire des services réels qui l’ont rendue chère de tout tems à cette classe de pauvres laboureurs qui a été et qui sera toujours la plus nombreuse ; ses longues mamelles fournissent deux fois plus que la brebis un lait qui, quoique moins caséeux est cependant très nourrissant et supplée au vin, à l’huile, au bouillon et à d’autres substances alimentaires que cette classe d’hommes ne peut se procurer. La chévre coute moins de soins. En été, elle se nourrit partout, en hiver elle broute les feuillages et le fourrage grossier dédaigné par la brebis ; puis le petit propriétaire d’un champ d’oliviers conduit en hiver et en été, son troupeau de chévres sous les arbres, les oblige à y séjourner, à y passer la nuit, de sorte qu’il engraisse ainsi son terrain à peu de frais. Il faut bien qu’elles aient été multipliées par le genre de besoins dont je viens de parler, car je les trouve plus abondantes dans les contrées complantées seulement en oliviers. Il n’y a plus que des chévres sur la plage maritime depuis la Turbie jusqu’à la Nervia. Il n’y a point de brebis non plus dans la vallée de la Nervia jusqu’à la Pigna. Je trouve la même chose dans la lisière correspondante de la Ligurie. Trois lignes de montagne décharnées, entrecoupées de ravins, qui réunissent la Méditerranée avec les Alpes et les Appennins, semblent n’être faites que pour les chévres ; au contraire on rencontre moins de ces animaux à mesure qu’on quitte les oliviers et qu’on s’approche des bons paturages, de sorte que la nature des choses semble avoir fixé les limites au dela desquelles il est inutile de tenir des chévres.

Pour obvier donc aux inconvénients auxquels les chévres nous exposent, pour diriger l’esprit du cultivateur vers un intérêt mieux entendu, et en même tems pour consilier l’intérêt sacré du pauvre avec l’intérêt général, sans proscrire les chévres en masse et sans distinction de territoire, il conviendrait de déterminer les lieux où l’on peut en tenir, et ceux où il ne doit point y en avoir, avec des réglemens efficacement coercitifs pour les bois et forêts, ainsi que pour tous les endroits où j’ai dit qu’il était urgent de faire de nouvelles plantations. Du reste si le sort des habitans est amélioré, et si l’on établit les canaux d’irrigation et dont je parlerai bientôt, nul doute que le nombre des chévres ne diminuera par l’impulsion seule du bien être résultant de la préférence qu’il sera possible alors de donner aux brebis.

Produits du bétail

Moutons, agneaux et chevrots

Les agneaux et chevrots, le laitage, l’engrais, et la laine sont les productions annuelles du menu bétail, désigné dans ce département sous le nom d’avérage. Les divisions établies dans le bétail, relativement aux qualités de laine, en supposent également une pour la durée de la conservation des agneaux . Dans les communes, en effet, telles que toute la partie méridionale du département, où la laine n’est pas belle, après avoir prélevé sur les plus beaux agneaux ceux qui doivent servir à remplacer les individus hors de service, on ne nourrit les autres qu’un été, et lorsqu’ils sont gras, ils sont livrés aux boucheries des villes et bourgs ou vendus aux foires : ces agneaux ainsi que les chevrots, de 8 à 12 mois, se sont vendus en l’an X, 6 francs pièce, les bergers de Briga en ont vendu eux seuls 12 000 de la production de 120 000 brebis et chèvres dont est composé leur troupeau, ce qui donne un total de 72 000 francs.

On doit estimer au nombre de 30 930 les brebis réparties dans les 68 autres communes dont la laine n’est pas prisée, et ajouter à ce nombre 32 610 chévres répandues dans tout le département, (desquelles j’ai déjà prélevé les 4 000 de Briga), ce qui donne un total de 63 540 têtes de menu bétail produisant chaque année des agneaux et chevrots, dont en suivant le même calcul que les bergers m’ont fait à Briga, il doit se vendre chaque année, de la même manière et au même prix, 38 200 têtes produisant 229 200 francs qui, ajoutés aux 72 000 francs ci-dessus, donnent un total de 301 200 francs pour ce genre de commerce, qui se fesait avant la guerre en Piémont et qui se fait aujourd’hui sur les cotes de Nice et de la Ligurie. L’on m’a observé que ce commerce était plus conséquent avant la guerre, 1er parce qu’on ne vendait les agneaux qu’après les avoir engraissés à l’état de mouton, ce qui se pratiquait dans toutes les communes, et donnait une plus grande quantité de laine ; 2ème parce que le nombre du bétail était supérieur à l’état actuel mais j’ai trouvé partout, quant au premier point, qu’il y avait une balance exacte, parce que l’on vend aujourd’hui un agneau de champ au même prix qu’on vendait autrefois un mouton, et que d’ailleurs on fait passer dans les boucheries les chevraux comme les agneaux, ce qui n’était pas permis avant la guerre. Quant au nombre du bétail, il va chaque jour en augmentant, et je ne doute pas qu’a présent que les limites commerciales du pays sont plus étendues, il ne soit en deux ans à un nombre double de ce qu’il était avant la guerre.

Il reste 33 200 brebis, réparties entre 15 communes qui ayant une laine recherchée et qui se vend à un prix presque double de celle des autres endroits, conservent leurs agneaux pendant deux ans. Cette industrie est d’une grande ressource, et très soignée par les habitans qui, à cet effet, divisent leurs montagnes en deux parties, une qui est consacrée exclusivement aux brebis, et l’autre aux moutons. Ainsi quand l’agneau n’a plus besoin de sa mère, on le met dans les paturages qui lui sont destinés, ou on le nourrit pendant deux ans, au bout desquels il est conduit aux foires dont les principales sont celles de Saint-Ethienne, au nombre de 5, qui se tienne, le 30 floréal, le 5 messidor, le 6 fructidor, le 14 vendemiaire, et le 10 brumaire. J’ai assisté à cette dernière foire, où j’ai vu, avec plaisir, le plus beau bétail et la plus belle toison. Le prix moyen de ces moutons est de 12 francs ; en 1790, ils n’en valaient que 9 ; ceux de Saint-Dalmas et de Saint-Ethienne valent toujours un ou deux francs en sus. On peut estimer pour le moment, à 12 mille le nombre de ces moutons de deux ans vendus annuellement dans les foires au prix moyen de 12 francs, ce qui donne un produit de 144 000 francs annuels. Il faut ajouter à ce produit celui de la laine, c’est-à-dire 7 479 kilogrammes (24 000 livres en poid) à plus de 3/5 de kilogramme (2 livres) par tête ; laquelle est encore supérieure à celle des animaux adultes, comme nous le dirons plus bas.

En ajoutant donc ces 144 000 francs aux 301 200 francs cy dessus, nous avons un total de 445 200 francs pour le produit des agneaux et chevraux, non compris celui de la laine.

Laitage

Considérons actuellement le produit du lait, lequel comme nous l’avons déjà dit, ne fournit pas de beurre, mais donne seulement du fromage, de la souchée et de la recuite, (ces deux dernières productions ne servent qu’à la nourriture des habitans, sauf dans les parties maritimes, ou elles se vendent).

Il faut ici pareillement distinguer les bestiaux qui étant amenés l’hiver sur les plages maritimes sont d’un plus grand produit, parce que tout leur lait profite pour la nourriture des habitans des villes et bourgs, au lieu que dans l’intérieur du département, il n’y a que le fromage qui soit en commerce.

Les troupeaux seuls de Briga sont depuis un tems immémorial (ce qui leur a été très avantageux durant la guerre, ou ils ont trouvé une ample consommation à leurs denrées tandis que les autres communes y ont perdu par l’enlèvement de leurs bestiaux), en possession du premier article et paraissent suffire pour ce genre de consommation, quant à la population actuelle. Or, ces bergers m’ont établi à 6 francs par tête le produit annuel de leur bétail en laitage, ce qui donne 120 000 francs outre 8 000 rubs entre fromage et requite qui passaient auparavant en Piémont, et qui sont vendus aujourd’hui à Nice et dans la Ligurie à 5 francs le rub l’un dans l’autre ce qui donne 40 000 francs, total 160 000 francs de produit, du commerce en laitage, pour 20 000 bêtes.

En prélevant donc ces 20 000 sur les 100 740 têtes propres à donner du lait, il nous reste 80 740, lesquelles sont estimées donner l’une dans l’autre 6 livres de fromage par année, ce qui fournit 484 440 livres de fromage vendu à 6 sols la livre, terme moyen, tant en Piémont qu’aux départements voisins et dans la Ligurie. Total 145 332 francs de produit commercial, outre la nourriture prélevé sur le lait de laquelle se privent les bergers de Briga. Au moyen de quoi, ils ont, comme on le voit, presque un produit triple. En additionnant cette derniére somme à la première on a pour produit de laitage du menu bétail du département la somme de 305 332 francs.

Engrais

Indépendamment des produits que nous avons considéré précédemment, le bétail sert encore à engraisser les terres, ce qui est d’autant plus conséquent que le sol, étant maigre de lui même, ne produit absolument rien sans engrais, en quoi l’on verra dans la section de l’agriculture combien l’enlèvement des bestiaux et la misère produite par la guerre ont été funestes à la fertilité des campagnes.

Les bergers en louant les paturages se réservent ordinairement l’engrais, ou en prélèvent la valeur en le laissant au propriétaire. Dans les paturages d’hiver, lesquels se trouvent en pays d’oliviers, ils louent les couchées de leurs troupeaux ; chaque propriétaire d’un champs d’oliviers, les engage pour une ou plusieurs nuits, à venir les passer dans son champ, ce qui s’appelle en langue du pays, faire una vastiéra à 6, 8, 10, 12 francs par nuit suivant le nombre du bétail, (les brebis sont enfermées dans une enceinte qu’on nomme cordaglia, laquelle se fait en plantant des piquets tout autour de l’endroit ou le bétail doit coucher, lesquels soutiennent des filets, de manière qu’il ne reste aucune ouverture. Hauteur d’un mètre et demi environ. Le laboureur le lendemain, vient de suite tourner la terre à ¼ de mètre, pour y enfoncer les crotes). Comme il y a souvent des vignes dans ces champs, le berger est responsable des dommages, ce qui l’oblige à veiller continuellement : ce mode d’engraisser les terres est d’un grand produit pour l’olivier. Dans les paturages d’été, comme les champs se reposent alternativement chaque année, on y loue également des vastiéres, l’année de repos, ce qui dispense d’y porter de l’engrais, et les rend très productifs.

Il m’a été impossible de savoir au juste à combien pouvait se monter le total du produit de l’engrais. Des bergers, en me le cachant soigneusement, m’ont seulement assuré qu’il était souvent le seul profit qui leur restait de leurs peines. Cependant en n’évaluant à la seule somme d’un franc, le produit annuel d’engrais, de chaque tête de menu bétail, sans compter les agneaux et les chevraux, nous avons déjà la somme de 121 920 francs, laquelle ajoutée à celle du produit du laitage font 427 253 francs.

Produit général du bétail

Quoique nous n’ayons pas encore parlé des laines, nous pouvons déjà en établir la quantité et la valeur, afin d’estimer dans un seul article, tout le produit du menu bétail, le comparer aux frais d’entretien, et avoir une idée du profit net de cette industrie.

Ainsi donc nous avons en total de laine 100 702 kilogrammes (12 926 rubs) qui valent à 8 francs le rubs l’un dans l’autre 103 408
Agneaux et chevreaux 445 200
Laitage 305 332
Engrais 121 920
Total approximatif du produit du menu bétail 975 860 francs

Frais d’entretien

En calculant à Briga, avec les bergers, combien leur coutait l’entretien de leurs 20 000 têtes de bétail, nous avons eu le résultat suivant :

Herbes d’hiver 80 000
Herbes d’été 12 250
Pour ses 74 760 kilogrammes (9 600 rubs) 6 000
Pour 200 bergers à 300 francs chaque 60 000
Total 158 250 francs

Produit net

Or, en prenant cette somme pour base des frais que coûte tout le menu bétail du département, nous aurions en dépense annuelle une somme de 797 105 francs et par conséquent en produit net celle de 178 755 francs à laquelle nous pouvons ajouter la nourriture et l’entretien des propriétaires et des bestiaux et de leur domestiques. Ce profit, pourtant n’est calculé qu’abstraction faite des frais de renouvellement de bestiaux et des accidens. Il faut encore remarquer que la plus grosse dépense n’est faite que par ceux qui n’ont point de fourrages pour l’hiver, mais que ceux-ci ont plus de profit parce qu’ils tirent parti de tout le laitage, qu’elle est, au contraire, moindre pour ceux qui n’ont à se pourvoir que de paturages d’été et à ne gager des gardiens de troupeaux que pour cette saison. Aussi est-ce dans ces communes que l’on voit une plus grande aisance et infiniment moins de véritables pauvres.

Outre les peaux qui se vendent, et dont j’établirai la quantité, en parlant des taneries, les peaux de moutons ou brebis servent dans tout le département à faire des sacs pour contenir la farine, et celles de chèvres et de boucs à faire des outres pour l’huile et le vin.

Le suif n’est pas employé à faire des chandelles. Dans les montagnes, où l’on ne récolte pas de l’huile d’olive, on en fait des pains qu’on sale, et qui servent à la soupe et autres assaisonnement, à la place du beurre et de l’huile dont on manque, ce qui, à mon avis, donne aux mets un goût très désagréable pour celui qui n’y est pas accoutumé. On s’éclaire, chez les plus riches, avec de l’huile de noix, et en général, avec des morceaux de bois gras (de mélèze) appellé thea d’ou résulte une fumée qui noircit tout le village.

Des cochons

J’ai joint ici les cochons, quoique étrangers à cette classe, parce que je ne savais où les placer ailleurs. On voit que le nombre de ces animaux a diminué d’un cinquième depuis 1790. Leur prix a aussi augmenté. Un cochon de 82 kilogrammes valait 72 francs, il vaut aujourd’hui 85 francs. L’on en fait une grande consommation à Nice.

Ce prix ne doit pourtant s’entendre que des cochons de Provence, nourris avec des glands, car pour ceux élevés à Nice, ils vallent beaucoup moins. Un cochon coute, ici, d’achat de 24 à 30 francs et lorsqu’on le vend deux ans après, on n’en retire pas plus que 40 à 55 francs. Encore faut-il, pour en retirer ce prix qu’on dépense, quelques temps avant de le mettre en vente, 10 à 12 francs, en mauvaise farine ou autre chose semblable afin de l’engraisser.

Très souvent on nourrit ces animaux, avec du marc des olives appellé vulgairement murcia, ce qui rend leur chair molasse et d’une qualité très inférieure ; toujours enfermés dans de très petits réduits, pour ne plus en sortir que deux ans après, la plupart périssent, par le changement de régime directement opposé à celui qu’ils avaient dans les bois de la Provence, ou du Piémont, où ils ne vivaient que de glands. Ceux qui survivent, nourris uniquement de murcia, d’herbages et d’immondices, ont une mauvaise chair, et sont souvent ladres, les parfumeurs ne veulent pas de leur graisse pour les pomades, mais ils la font venir de Provence, car ils ont éprouvé que celle des cochons des Alpes-Maritimes ne se conserve pas. Il n’y a donc pas une grande perte dans la diminution du nombre de ces animaux, sauf à cause de l’engrais qui est le seul motif pour lequel les propriétaires de Nice se décident à en tenir.