Productions agricoles

Blé, orge, seigle, légumes, pomme de terre et chanvre, principales cultures du département. Dans le terroir de Nice et des communes environnantes, culture de différentes variétés de vigne.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Des qualités de grains, raisins etc., usités dans le département

Bled et légumes

L’on voit par le tableau précédent qu’en comparant la somme totale de seigle, orge et légumes récoltés avec celle de froment, la première surpasse beaucoup la seconde ; c’est que effectivement on sème davantage des premiers que du froment soit parce qu’il est beaucoup de terres qui ne supportent pas celui-ci, soit parce que plus délicat, il réussit moins que les qualités inférieures.

On ne cultive dans tout le département que le froment d’hiver (triticum hibernum) parmi les nombreuses variétés desquelles on a choisi de tems immémorial les trois suivantes, fort analogues aux qualités des terres :

1èrement Le triticum siliginum C.B. pin 21 Tugelle, tuyela niçois, qui vient très bien dans les terres argileuses, chaudes et exposées au midi ; cette variété est la meilleure de toutes, elle donne un grain de grosseur médiocre, fort estimé par les boulangers et les vermicelliers : sa paille longue, luisante, unie est presque sans nœuds, est employée par les femmes de la campagne à la fabrique des chapeaux chinois usités dans ce pays.

2èmement Triticum Longioribus aristis, spica oblorga, caerulea C.B. pin. 21. Gros bled, bled barbu, appellé ici marron. Ce bled n’est cultivé que dans les terres fortes, où il produit beaucoup, ce qui le fait rechercher par les gens de la campagne mais son grain, quoique le plus gros de tous, n’est pas estimé, parce qu’il donne plus de son que de farine à l’inverse le premier qui devrait le remplacer sa paille est trop longue, fort rude, et peut servir à couvrir les toits.

3èmement Triticum monococcum L., métel dans ce pays. Ce froment d’inférieure qualité, à petit grain, et qui reste autant en terre que le seigle, est pourtant celui qui est le plus universellement répandu, parce qu’il se trouve bien dans les terres maigres, légères, pierreuses, qui sont les plus communes ; il fait un grain noir qui a peu de goût.

En fait de seigle, on ne cultive que le seigle commun, (secale cercale hibernum L.)

On cultive trois variétés d’orges ; l’orge vulgaire, (hordeum vulgare L.), l’orge distique, (hordeum distichon L.), l’orge seigle (hordeum seccalinum. L.) . De ces trois variétés, l’orge distique, nommé pamelle, pomoule à Nice, est le plus répendu parce qu’il fait le pain plus savoureux et plus blanc ; les autres variétés ne sont cultivées que dans les endroits agrestes, où la pamelle ne peut pas venir.

Les grosses et petites fèves sont le légume le plus employé dans la campagne de Nice où on sème autant que du bled, et elles forment la principale ressource alimentaire des gens de la campagne ; dans le haut département, elles réussissent moins bien, parce qu’il leur faut un terrain fort comme pour le blé marron et la tuselle ; on sème à leur place des lentilles, des haricots, des pois, des gesses, et surtout une espèce de vesce appelée scaira, qui est extrêmement répandue.

Avant la révolution, on cultivait moins la pomme de terre qu’aujourd’hui ; j’ai été dans plus de vingt communes, où l’on m’a dit qu’elle était inconnue avant l’arrivée des français. La disette des vivres, durant la guerre, obligea de la multiplier et d’en faire du pain dans quelques endroits. On m’a rapporté à Saint-Martin de Lantosca qu’une maison entière, obligée de vivre de ce pain durant plusieurs jours, en fut empoisonnée ; ce que j’attribue à ce que le solanum tuberosum y était cultivé récemment. J’ai vu à Marseille un semblable effet de cette racine récemment cultivée. Un jardinier que j’avais soigné avait reçu une nouvelle espèce de pommes de terre rouges très belles, qu’il cultiva pour la première fois, desquelles il voulut me faire un présent. J’en participai deux familles voisines qui les essayèrent avant moi ; elles éprouvèrent les premiers symptômes de l’empoisonnement ; je voulus les goûter, à mon tour, les trouvai très parfumées, mais en même temps très âcre et brûlant le gosier, comme la racine d’arum. Il est vraisemblable que cette plante, soit quelques unes de ses espèces plus âcres que les autres, s’adoucissent par la culture. Du reste, la pomme de terre réussit mal dans ce département, et elle y conserve toujours une acreté qu’elle n’a pas dans les pays froids.

Chanvre etc…

Dans toutes les vallées, où l’on a quelques filets d’eau, on s’empresse de cultiver le chanvre. Cette plante réussit très bien dans tout le département et particulièrement dans les parties méridionales et orientales ; les chanvres des vallées de la Nervia et de la Roya sont très beaux ; ceux de Roquetta, Dulce aqua sont renommés, et ceux de Breglio ne leur cèdent en rien. Un seul fil de ces derniers est susceptible d’être tordu et de résister au poids d’un fuseau assez lourd. L’académie des sciences de Turin ayant proposé un prix, en 1796, pour celui qui présenterait un fil filé de 50 ras, (environ 20 mètres) de longueur qui ne pèserait pas plus de cinq grains (environ 5 décigrammes), une dame de ce pays nommée mademoiselle Pianavia-Vivaldi en fila du chanvre de Bréglio dont un fil de cette longueur pesait à peine quatre décigrammes ; suivant la note qui m’en a été donnée sur le lieu par le citoyen Catalorda, curé de Bréglio, témoin oculaire.

Le rouissage des chanvres se fait dans des fosses tout près des habitations, et on les fait dessécher de même le long des murs des maisons ; il en résulte une odeur infecte dans le temps de ces opérations, qui est vraisemblablement la cause des fièvres intermitentes pernicieuses qui règnent souvent dans ce temps là dans les contrées basses où l’on pratique davantage ce genre de culture.

N’y ayant pas dans les contrées du département où l’on cultive le chanvre des hivers assez rigoureux pour suspendre tout à fait les travaux de l’agriculture, on n’y emploie pas ces jours de repos à briser avec la main les chenevotes pour en retirer le chanvre, mais ce travail est fait immédiatement après la dessication au soleil, dans les mois de thermidor et fructidor.

Pour cela on a deux instruments qui hatent singulièrement l’ouvrage, dont le premier est une pièce de bois ronde, posée de bout, creusée supérieurement sur laquelle on place les chenevotes qu’on commence à briser avec un barreau de fer, presque tranchant, appellé massa de ferre. Après ce travail préparatoire, les chenevotes brisées sont portées sur un second instrument nommé brégola, qui n’est autre chose qu’une espèce de banc ou chevalet grossier, en bois, fendu tout le long, sur lequel sont attachés par un bout, au moyen d’un axe, deux couteaux en bois, mobiles, qui vont en se rétrécissant jusqu’à l’autre bout. Le cultivateur tient ce bout de la main droite et de la gauche il fait passer le chanvre par-dessous les couteaux qui, sans cesse en mouvement, finissent de le hacher et d’en précipiter les chenevotes séparées par le vuide de la bregola.

Comme l’on a changé en chénevis les prez naturels, parce qu’on y trouve plus de profit, on cultive autant de chanvre aujourd’hui qu’avant la guerre, quoique les rivières aient emporté une partie du terrain qui lui était destiné, et qu’on emploie une partie des terrains en pommes de terre qui, comme nous l’avons dit, étaient connues autrefois. Avec cela, le département n’a pas eu suffisamment de chanvre, non seulement pour en vendre à l’étranger, mais encore pour la consommation des habitants, et l’on a toujours été obligé d’en faire venir du Piémont, pour environ 23 372 kilogrammes (3 000 rubs) à 2 francs 05 centimes 37 millimes par kilogramme (16 francs le rub).

Le lin n’est pas, ou presque pas connu.

Les champs où l’on sème le chanvre donnent toujours dans l’année deux récoltes. Ou l’on y sème du bled après avoir oté le chanvre, ou bien des radis, des navets, des oignons. Quelques communes sises le long du torrent des Chaus, telles que Pierlas, Lieuche et Rigaut sont renommées pour leurs navets, dont elles font un petit commerce dans le département. La vallée du Var récolte abondamment des belles et bonnes raves. Les communes sises le long de la Rodoule cultivent des plants d’oignons dont elles font commerce dans ce département et dans celui des basses Alpes. La commune seule de la Croix en fait, année commune, une exportation pour 1 200 francs.

Qualités des raisins et du vin

On cultive communément dans le terroir de Nice et de celui des communes environnantes, les variétés de vignes suivantes, que je décris d’après Garidel, cet illustre médecin provençal étant le botaniste le plus exact et le plus complet dans les descriptions des productions de la Provence, lesquelles sont à peu de chose près les mêmes qu’à Nice, ou elles ne font en majeure partie que changer de nom :

1èrement Vitis acinis albis, dulcissimis, vitis apiana C.B. pin 298
Muscat blanc (moscateo blanc).

2èmement Vitis apiana, nagro acino, garidel, le muscat noir (moscateo négre).

3èmement Vitis praecox, acino acuto, subviridi, dulci et molti, gar, raisin blanc, précoce, appellé Saint-Jean (gioanenga) parce qu’il murit à cette époque.

4èmement Vitis praecox acino nigro dulci et rotundo G., (gisanenga nègre) la variété noire de dessus.

5èmement Vitis praécox, acino rotundo, albido dulci G., raisin précoce, moins que les précédents, blanc (douceagno).

6èmement Vitis pergulana, uva perampla, acino oblongo, duro, majori et subviridi G., (pendoulan rain de pauso) raisin qu’on fait sécher, et qu’on vend dans le commerce, sous le nom de pause, commune à Marseille, plus rare à Nice.

7èmement Vitis serotina, acinis minoribus, acutis, flavo albidis, dulcissimis, G., la clarette (claretta) (il y en a de noir qu’on nomme verlantin).

8èmement Vitis duracina acino magna négro rotundo et duro, saporegrato, subaustero, levi quasi polline consperso G., espagnin à Marseille, spagnou à Nice, il y en a du blanc et du noir).

9èmement Vitis vulgaris, uva perampla, acino rotondo, subviridi (pascau à Marseille, passareto à Nice, il y en a de blanc et de noir).

10èmement Vitis acino rotundo, minori, duro, dilute ruffescenti et dulci G. (ce raisin plutôt rare en Provence porte ici le nom de braquet).

11èmement Vitis acino nigro, rotundo, molli, G., (rin brun en Provence, sauvagiet à Nice).

12èmement Vitis acinis rotundis, albidis, dulçibus G. (aubri en Provence, la fola à Nice).

13èmement Vitis folio dilute viridi, unva perampla, acinis ruffescentibus, rotundis et dulcissimis G. (barbaroux en Provence, rossea à Nice).

14èmement Vitis, uva ampla, acino rubéo, duriori sapore dulci, G., (barberoux grec en Provence, rossau à Nice). Ce dernier raisin qu’on confond à Nice avec le simple barberoux, est fort cultivé à l’Escarena, où l’on en fait un petit commerce parce qu’il s’y conserve l’hiver au lieu qu’on ne peut conserver aucune sorte de raisin à Nice.

15èmement Il y a encore le raisin dit brumestia, que je n’ai pu rapporter à aucune des variétés de Garidel.

16èmement Dans la vallée du Var, on cutlive assez la vitis uva longiori, acinis raris, nigro rubentibus, sub-austeris, G., (uvi negré en Provence).

De ces différens raisins, on emploie pour la table le muscat blanc, la pause, le barberoux, la gioanenga, la passareta, blanche et noire, et la brumestia. Les autres sont employés indifféremment pour le vin. Cependant le muscat blanc et rouge et le braquet sont les espèces dont on retire les qualités de vin supérieures ; mais le spagnou, la fola, la rosséa, le sauvagiet et la clareta sont préférables du coté de la production.

Le braquet est si estimé qu’on nomme vin braquet celui qui n’est fait qu’avec cette seule qualité de raisin. Les marchands de vin à Nice l’achètent des gens de la campagne pour en fabriquer eux-mêmes à la ville, le vin renommé, sous le nom de vin de Bellet, de la région qui produit de meilleurs raisins. Ce vin pourtant est fait avec toutes sortes de raisins, mais il est plus ou moins bon, relativement à la quantité de braquet qui s’y trouve.

Le vin de Bellet vaut à la récolte, année commune 28 francs l’hectolitre (30 francs la charge de 12 rubs). S’il est de bonne qualité il augmente de prix, à mesure qu’il vieillit, et l’on dit un vin de 6, 7, 12 feuilles, pour dire un vin de 6, 7, 12 années. J’ai bu de ce dernier, et il équivaut aux meilleurs vins les plus recherchés. Nouveau, il est dangereux et produit des crispations.

On fait aussi du vin muscat, fort bon, mais il est rare, on trouve plus fréquemment du vin blanc, appellé paysan, fait avec toutes sortes de bons raisins blancs, tant dans la région de Bellet qu’à Aspremont et autres endroits ; ce vin est fort estimé, et se vend à la récolte jusqu’à 34 francs l’hectolitre (36 francs la charge).

Les vins des régions autre que Bellet, sont vendus de 14 à 23 francs l’hectolitre (15 à 24 francs la charge) à la récolte, et jusqu’à 28 francs l’hectolitre (30 francs la charge) dans le courant de l’année.

Les meilleurs vins du département, après celui de Bellet, sont ceux d’Aspremont, de Cimier, de Cros d’Utelle, de Massouin, Villars, Clans et Tournefort, dans la vallée du Var à trois lieues de Nice. Dans la vallée de Paglion, déjà le vin est très inférieur. On cultive la vigne à Briga, à Tende et dans la Valdeblora mais le vin qui en résulte est très mauvais quoique le raisin soit délicieux sur table. Le raisin noir n’y murit qu’avec peine, c’est pourquoi on ne cultive que le raisin blanc, et l’on en colore le vin clair qui en résulte par le mélange du gros vin noir de Provence. Il en est de même à Lantosca, Roccabiliéra, et ailleurs dont les vins ne sont rendus supportables que par le mélange avec d’autres vins.

En général, les vins du département sont tous clairs, à la différence de ceux de Provence qui sont noirs et épais, parce que dans cette contrée on cultive beaucoup plus les unis noirs, et deux qualités de raisins noirs appellés Catalan et Bouteillan, fort peu connus à Nice ; les vins de la vallée du Var sont les plus colorés.

Sans doute que la qualité du raisin et celle du terrain influent beaucoup sur la bonté des vins, mais j’observe que les coteaux de vignobles placés le long des grandes rivières et même de la mer, fournissent les meilleurs vins ; on a, par exemple, les vins du Rhône, les vins du Rhin, etc. pareillement dans ce département, les vins des quartiers de Bellet, Aspremont, et la vallée du Var, qui sont les plus renommés, proviennent de vignes placées le long de cette rivière. Les vignes du Cros d’Utelle sont sur la Visubie. En me rendant dans la vallée de la Nervia, j’ai bu de l’excellent vin clairet à Vintimiglia qui est sur la mer. En entrant dans la vallée, quoique le degré de chaleur soit le même, le vin devient très inférieur. A mesure qu’on s’avance dans la profondeur de la vallée, il est très mauvais. On peut rendre une raison suffisante de ces effets, mais qui serait déplacé ici.

Le raisin cueilli et trié est porté immédiatement dans la cuve sans être dégrapé. Lorsqu’il y en a une quantité suffisante, on entre dans la cuve pour le fouler et on enlève successivement les grappes et les calotes à mesure que la fermentation s’opère. Ces grappes et calotes sont portées au pressoir et quand elles ont rendu tout leur jus on les jette pour fumier.

On n’est pas en usage ici de passer de l’eau sur le marc, pour faire la boisson qu’on appelle piquette trempo en provençal, dont usent uniquement les paysans des environs de Marseille ; ici le laboureur boit de la même qualité de vin que l’habitant des villes.

On n’en retire pas non plus de l’eau de vie, il est vrai que même le vin de ce département n’en donne pas beaucoup. On a essayé d’employer à cet usage des vins du pays peu propres pour la boisson, mais inutilement. J’ai distillé une des bonnes qualités de vins et l’eau de vie que j’en ai retiré était extrêmement faible.

M’étant souvent servi du marc des tonneaux pour faire des cendres gravelées et en retirer la potasse, j’ai eu occasion de remarquer qu’il contenait beaucoup de sels muriatiques. Dans le mois de germinal au 10, j’ai analysé, à grande dose, la sève de la vigne, qui avait été recueillie sur un cep, éloigné au moins de 300 mètres de la mer, et j’en ai retiré environ un gramme de sels muriatiques à base de soude, de chaux et de magnésie, sur un kilogramme de sève ; ce qui prouve évidemment l’influence du voisinage de la mer sur la végétation.