Les chemins de l'adoption

Salut les amoureux, le regard des autres

Dany et Philippe racontent ces moments où le regard des autres sur la figure de leur couple sans enfant, génère malaise et maladresse.

Nous voulions aborder un aspect de l’attente entre l’obtention de l’agrément et celui de l’apparentement. Il ne s’agit pas de la partie administrative avec la constitution d’un dossier pour une OAA (Organisme Autorisé pour l’Adoption) par exemple, mais plutôt des stratégies adaptatives sociales auprès de proches et autres : Famille, amis ou collègues de travail. Lors du long chemin de l’adoption, il y a des périodes où notre situation de famille réduite au seul couple est plus difficile à assumer, tout comme cela peut être le cas pour une personne célibataire.

Octobre 2009, il est 20h.

Nous arrivons chez une amie d’enfance, elle nous accueille …Salut les amoureux !!!

Elle est mère de 2 jeunes filles magnifiques,  elle a la quarantaine, séparée,  bien dans sa vie. Nous nous connaissons depuis le collège.

Cet accueil… "Salut les amoureux" nous est spécialement réservé.

En effet, elle connait nos difficultés pour avoir des enfants et elle sait que nous  sommes en démarche d’adoption…

« Mais comment appelle-t-on des parents en devenir (ou pas ?) »

…à qui l’on souhaite d’avoir des enfants...bien sûr ….pour lesquels, elle dit elle-même : ‘ce n’est pas juste ! il y a tellement d’enfants malheureux et vous seriez de si bons parents !’. Nous la reprenons tout de suite en indiquant que l’adoption n’a pas une vocation humanitaire mais s’ancre dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Voilà…tout est dit : ces potentiels parents hybrides, croisement entre un couple amoureux,   courageux …face aux épreuves et aux échecs ! En vérité, il n y ’a pas pour eux, de véritable définition. Postulants à l’adoption …est notre catégorie administrative ; mais pas pour les amis, la famille, les gens qui nous accompagnent affectivement et qui ont cette pénible compassion qui nous fait chaud au cœur mais qui nous rappelle sans cesse, cet échec de ne pas être des parents bio. Il n’y a pas de mots mais une étiquette leur est nécessaire.

Oh bien sur …nous ne les condamnons pas, la nature a horreur du vide …il faut bien en dire quelque chose… nous-mêmes avons probablement été maladroits sans le vouloir face à ce genre de situation.

Et en attendant de rentrer dans le cercle fermé des parents …qui savent, eux, ce que c’est que d’avoir des enfants….tout le monde y va de sa recette …pour nous aider : "tu n’as pas essayé d’aller en Espagne…il parait que cela marche bien"‘… "C’est toi ou c’est ton mari qui a un problème ?  …que c’est triste".

 

Trouver une étiquette acceptable pour nous nommer

Alors voilà …il faut bien « trouver une étiquette acceptable pour nous nommer » et pour ne pas nous blesser : le fameux  "voilà les amoureux"… lorsque nous entrons dans son salon rempli d’amis semble la formule la plus acceptable, à mi-chemin entre l’empathie et l’encouragement.

C’est vrai que nous nous tenons par la main, pour être plus fort, et pour résister probablement. Oh peut être que notre imagination nous joue des tours mais nous voyons dans chaque visage un point d’interrogation ? Où en sont-ils ? Est ce qu’on va pouvoir en parler ?...Pourvu que je ne fasse pas de gaffes ou de la peine …

Après les salutations d’usage, je lâche enfin la main de mon mari et je me dirige vers la cuisine.

J’aperçois une amie, dont je n’avais pas de nouvelles depuis longtemps qui, désespérément, tire sur son pull pour cacher ce magnifique ventre arrondi qui présage un futur heureux évènement.

Elle est gênée pour moi et m’explique, alors que je la félicite sincèrement, qu’elle est désolée ; elle ne savait pas comment me le dire et n’a pas osé me contacter par téléphone.

Pourquoi lui en vouloir…j’ai dépassé ce stade et me suis résignée en quelque sorte…

Prendre de ses nouvelles et connaitre le sexe de l’enfant … m’est maintenant possible ayant, après le parcours de procréation médicalement assistée, renoncé à un possible pour nous.

 

Ce sésame qui nous reconnait comme des parents potentiels

Pourquoi ? Parce que ça y est ! J’ai mon agrément !! « Ce sésame qui nous reconnait comme des parents potentiels » tout espoir n’est pas perdu de créer une famille.

Nous passons à table.

De son coté, mon mari est aussi questionné… il explique avec soins,  les démarches, les OAA…, le conseil  départemental, les pays possible pour nous...nos mésaventures administratives…

Les convives sont à la fois curieux et tristes de nous voir sans enfant … après plus de 10 ans de mariage.

Soudain, une copine retardataire arrive et nous salue…"Salut les amoureux !!!" Et elle nous lance :

"Mais profitez tant qu’il est encore temps …sans enfant…bien sûr  !!! "

Elle adore ses trois enfants mais elle nous raconte ses galères : à l’école avec la maitresse, et ses petits mots en rouge dans le cahier de liaison , comment elle doit trouver une nounou compétente et pas tordue, comment elle a dû changer de voiture en passant d’une décapotable mini à la mode à une familiale encombrante pour laquelle elle ne trouve jamais à se garer à Juan les pins. Ses déplacements pour aller à la plage avec ses enfants surexcités qui se transforment en véritable expédition pour ne rien oublier !!! A sa description, elle est plus proche de zézette épouse X du Père Noël est une ordure que d’un modèle de parents idéal décrit par un expert bien connu dans les médias.

Elle raconte encore son rêve de petit déjeuner tranquille sur sa terrasse sans interruption du style "MAMAN…Viens ! …  je ne trouve pas mon tee-shirt préféré"…ses tentatives de moments d’intimité  avec son mari sacrifiées par un cauchemar nocturne de son petit dernier … .qu’elle adore  …. bien sûr !

Chacun des invités raconte alors ses joies et ses galères avec leurs enfants…

Et voilà… le cercle,  se referme sur cette communauté de parents que l’on envie…malgré tout ce qu’ils peuvent bien raconter. Cependant, je ne peux m’empêcher de prendre la main de mon mari, discrètement; je lui adresse un sourire complice et tendre pour lui dire de garder confiance en nous.

C’est peut-être cela que les autres perçoivent comme une bulle,  à la fois légère et solide, remplie d’amour et de force, pour nous battre pour notre projet d’enfant et qu’ils décrivent comme ‘ des amoureux ‘…

 

Ils ne savent pas combien de stratégies d’évitement nous avons mis en place pour ne pas nous effondrer.

Elles peuvent faire sourire aujourd’hui, mais elles nous ont été nécessaires pour ne pas nous perdre et apporter des réponses parfois toutes faites lors de conversations comme… ‘Et oui, nous n’avons pas encore réussis avoir d’enfant … c’est la vie ‘, ou ma formule qui plombait toute discussion et qui me permettait de faire comprendre que je ne voulais pas en parler davantage… ‘ …  Les enfants non ….je ne n’en ai pas ! La nature m’a oublié… ‘,  désignant ainsi  une coupable toute trouvée,  pour me décharger probablement moi-même de toute culpabilité. En désignant Dame Nature comme seule responsable de mon impossibilité d’être une maman, personne ne pouvait rien y répondre et incitait à changer de sujet.

Je repense également à la période de fin de l’année avec les cadeaux de Noël et les catalogues que l’on reçoit dans les boites aux lettres destinés aux enfants que l’on a pas encore. Lorsque nous arrivons sur notre lieu de travail, le sujet est souvent abordé lors des pauses déjeuners. Les  conversations du type : ‘Et toi, tu as choisis quoi pour ton fils ? ‘ Ou bien ‘ c’est de la folie : elle veut absolument ce jouet qui est en rupture de stock partout! ‘ fusent et nous, simples spectateurs, nous mesurons à ce moment là, notre situation en décalage avec la normalité. Des échanges de bons tuyaux s’opèrent entre « eux », les heureux parents…

 

J’espère que l’an prochain, moi aussi, j’aurai un cadeau à choisir …

Et nous, nous restons juste au stade de témoins en se disant « j’espère que l’an prochain, moi aussi, j’aurai un cadeau à choisir … »  Aussi, pour éviter ses situations qui nous impactaient, il fallait mettre en place des stratégies pour se préserver surtout dans les moments Down.

Par exemple, mon mari prenait à cette époque, son déjeuner seul devant son écran en prétextant rechercher des informations sur l’actualité de l’adoption mais en fait, c’était pour éviter d’entendre ces discours qui lui rappelaient cruellement qu’il n’était pas encore papa.

De même, nos familles respectives ne savaient pas comment gérer cette situation : Elles espéraient pouvoir offrir chaque année des jouets à leurs petits enfants ou filleuls … et ils osaient à peine demander si nous avions des nouvelles, si nous savions quand nous pourrions être enfin parents.

Ce genre de questions qui, là aussi, nous replace simplement en tant que couple alors que dans notre esprit nous étions déjà une famille avec un enfant qui nous attendait surement quelque part. Nous répondions par des pirouettes du style : ‘Et bien préparez-vous car, quand notre enfant arrivera, il y en aura des cadeaux à rattraper !’

 

Tous nous confirmaient qu’il fallait profiter…de cette liberté

Le repas se poursuit.

En y repensant, c’est vrai qu’à cette période de notre parcours, nos amis nous appelaient « les amoureux » et cela nous faisait sourire ! Ils étaient déjà tous parents depuis plusieurs années et « tous nous confirmaient qu’il fallait profiter…de cette liberté », comme de choisir de se faire une toile au dernier moment ou un diner en tête à tête tout simplement. Ils transformaient un aspect négatif pour nous en quelque chose de positif …notre situation était enviable pour eux, comme une évocation d’un passé plus simple et qu’ils regrettaient parfois ! En réalité, ils étaient heureux d’être parents…malgré une description rocambolesque, de leur deuxième journée qui commençait après leur retour du bureau avec des rituels cadencés selon les âges de leur progéniture (sport pour le grand, devoirs pour le deuxième, bain- repas et petite histoire pour le plus petit). Quant aux sorties en tête à tête, cela demandait une anticipation et une organisation millimétrée. Et avec le recul, ils avaient bien raison.

Le diner tire à sa fin.

Nous saluons les amis et la maitresse de maison ; nous la remercions pour cette excellente soirée. En partant, elle me serre dans ses bras et me dit : ‘allez courage pour votre dossier d’adoption !…en fait, je ne sais pas si j’aurai pu le faire à votre place…enfin… j’espère que vous serez parent bientôt’.

Je la remercie, lui serre les mains très fort à mon tour et rejoins mon mari.

Cette petite phrase qui se veut bienveillante et un geste de soutien, résonne à ce moment là,  comme un coup au cœur…je rentre alors dans la voiture et quelques larmes coulent sur mon visage. Mais pourquoi ces larmes ? Peut-être, parce que mon amie m’avait renvoyé ses propres craintes d’un possible échec me plongeant dans une angoisse profonde.

La démarche d’adoption n’apporte aucune garantie d’avoir un enfant. Pourtant, il faut croire à son projet.

Ces stratégies d’adaptation et ces années passées en tant que ‘les amoureux’ pour nos proches, nous n’en gardons aucune amertume. Elles nous ont permis d’évoluer en tant que couple mais aussi en tant qu’individu.

Grâce aux démarches d’adoption, il nous a fallu être plus audacieux, et aller à la découverte de nos capacités, apprendre davantage à nous questionner, sur nous, sur notre parentalité pour le bien de notre enfant et de notre famille, sans que cela soit une obsession mais plutôt une marche en avant.

Ce récit est une compilation de plusieurs évènements vécus que nous voulions évoquer concernant le regard des autres sur les couples en démarche d’adoption.

Aujourd’hui, des parents adoptifs se reconnaitront peut être… et pour ceux en devenir, nous voulions délivrer quelques confidences sur un moment de notre parcours, à la fois pour vous faire sourire et réfléchir sur ces autres …que nous pouvons être aussi dans la vie, parfois maladroits et parfois aidants sur les chemins de l’adoption.

Allez, salut les amoureux !

– Dany & Philippe – Avril 2017-

 

 

© Mazaud Diana