Tribunaux de justice et ordre judiciaire ancien et moderne

De l’organisation de l’ancien ordre judiciaire et des tribunaux à l’ordre judiciaire en 1803. De la quantité de la nature des procédures civiles et criminelles en 1790 et en l’an X du calendrier révolutionnaire.

NOTE : Nous offrons aux internautes la possibilité de découvrir ce texte inédit transcrit dans sa forme originelle et avec l'orthographe de l'époque.

Tribunaux de justice, et ordre judiciaire ancien et moderne

Des tribunaux anciens et modernes

L’organisation de l’ancien ordre judiciaire du comté de Nice était extrêmement simple et peu coûteuse.

Anciens tribunaux

Elle consistait, en commençant par le dernier échelon, en un baile pour chaque commune ; un juge ordinaire ; un juge image pour chaque province ; un sénat et un magistrat de commerce pour tout le comté.

Baile

La baile était une espèce de juge local, pris régulièrement dans l’ordre des notaires, et résidant nécessairement dans la commune. Ses fonctions consistaient à recevoir toutes les plaintes ; et à tenir registre de celles appartenant à la simple police, et emportant peine correctionnelle ; ce registre était présenté au juge ordinaire lors de son accedit, quant aux plaintes emportant peine afflictive il devait en donner immédiatement avis au juge ordinaire qui était chargé d’en instruire la procédure, ou par lui-même, ou par son lieutenant, ou par une délégation à ce même baile.

Indépendamment de ces fonctions relatives au criminel ou au correctionnel, les bailes connaissaient immédiatement de la nourriture et des salaires dus aux ouvriers, aux nourrices, aux domestiques, aux orphelins. Des contestations relatives aux changements de limite, et aux dommages ruraux ; enfin de toutes les affaires qui n’excédaient pas la somme de 40 livres de Piémont (48 fr.). Il y avait appel de leur décision au juge ordinaire et de celui-ci au juge mage.
Le baile était nommé pour trois ans par le roi, le seigneur, ou par la commune même lorsqu’elle en avait le droit ; et cette nomination devait être approuvée par le sénat, pour avoir son effet. Au bout des trois ans, il pouvait être réélu, mais il n’était admis par le sénat à cette réélection, qu’en rapportant une déclaration signée par le juge ordinaire qu’il n’y avait point eu de plainte légale portée contre lui, aux assises tricennales. Cet officier n’avait point d’appointements fixes, il jouissait de rétributions très modiques fixées par un tarif général.

Des juges ordinaires

Les juges ordinaires, ou de première instance, étaient nécessairement des gradués, c’est-à-dire, docteurs en droit ; ce qui exigeait 5 ans d’études à l’université de Turin, ils ne pouvaient exercer des judicatures, ni remplir des fonctions d’avocats, qu’après trois ans de pratique dont un au moins chez l’avocat des pauvres ; au bout ce temps ils subissaient un nouvel examen donné par le sénat, pour être déclarés propres à remplir la fonction de juge.

Ces juges connaissaient en première instance, de toutes les affaires civiles et criminelles, de quelque nature qu’elles fussent au criminel, ils pouvaient appliquer à la question et condamner à toutes les peines déterminées par les lois, sans autre appel qu’au sénat. Au civil au contraire, ils ne jugeaient en dernier ressort, que jusqu’à la somme de 400 livres de Piémont, au delà de laquelle, il y avait appel au juge mage et de celui-ci, au sénat.

Leur juridiction comprenait une ou plusieurs communes et ils résidaient au chef lieu de l’arrondissement ; mais tous les ans chacun d’eux était obligé de se rendre, au moins une fois dans toutes les communes de son ressort, pour y tenir les assises ; là, il donnait suite à toutes les affaires urgentes et sommaires et prononçait seul avec l’intervention d’un vice fiscal, sur toutes celles de simple public ou correctionnelles, et ce, sans appel lorsque les peines correctionnelles n’excédaient pas celles que prononce aujourd’hui la simple police.

Ces juges étaient aussi nommés pour trois ans, par le roi ou par le seigneur, et devaient être confirmés par le sénat. Ils avaient un lieutenant, aussi gradué et nommé de même. Ils pouvaient être réélus, mais à la condition expresse d’un certificat délivré par le juge maje de la province, qu’il ne lui était parvenu aucune plainte légale contre leur gestion. Ils ne jouissaient non plus d’aucun appointement fixe, mais seulement de modiques rétributions déterminées par le tarif. Une seule comparaison sera juger de la modicité de cette rétribution, vu une affaire de 50 francs, jugée anciennement, après une procédure assez longue, et ne coûte que 11 francs, remise en jugement devant les tribunaux actuels, elle a 80 francs, en frais de justice.

Les juges mages (judex major) étaient à la tête des juges ordinaires de la province ; ils avaient une espèce de juridiction sur ceux-ci ; leur tribunal était un tribunal d’appel intermédiaire entre celui des juges ordinaires et du sénat, pour les causes civiles qui passaient la somme de 400 livres de Piémont ; chaque année ils tenaient les assises pour écouter les plaintes portées contre les juges ordinaires. Le juge mage était encore le juge né de la ville, où il résidait et de la banlieue pour cette judicature, il n’avait pas plus de privilèges que les autres juges ordinaires.

Le siège de la judicature mage, était aussi celui des juges ordinaires qui n’étaient point juges royaux, d’un avocat fiscal provincial, et de tout l’appareil de la justice. Chaque juge ordinaire avait son vice fiscal, subordonné à l’avocat fiscal. Un certain nombre de procureurs, d’huissiers, etc étaient affectés à ce siège et aux tribunaux qui en ressortaient, sous la surveillance du juge mage.
On a vu qu’anciennement le département était divisé en trois vigueries, ou chefs lieux de justice mage ; Nice, Sospello, et Puget-Théniers ; dans les derniers temps, il n’y en avait plus que deux, Nice et Sospello ; encore cette dernière province était-elle fort petite, la juridiction ne comprenait que 30 communes.

Le juge mage avait un lieutenant pour le représenter en cas d’absence, de maladie, ou d’incompétence. L’un et l’autre étaient nommés par le roi, et leurs lettres devaient être enregistrées au sénat.

L’avocat fiscal était l’homme du roi ou de la partie publique, il était aussi nommé par le roi, et il tenait, dans les cours de justice, le second rang après le juge mage, fonctions auxquelles sa place le conduisait ordinairement.

Les unes et les autres de ces places étaient à vie, sans cependant être inamovibles, lorsque le bien d’une province le demandait ; elles avaient des appointements fixes, qui n’allaient guère au-delà mille livres outre des rétributions fixées par le tarif général, et qui, quoique un peu plus fortes que celles des juges ordinaires étaient cependant modiques.

Le salaire des procureurs du siège était pareillement fixé par un tarif, duquel il eut été dangereux pour eux de s’écarter.

Du Sénat

Il n’y avait à Nice qu’une seule chambre de sénateurs, composée de sept membres, y compris le premier Président. Ce tribunal était suprême, et ordinairement bien composé, ces places n’étant données en général qu’au mérite reconnu et après de longs services dans les fonctions subalternes.

Les attributions d’un sénat étaient :

  • 1èrement la haute surveillance de tout l’ordre judiciaire de son ressort ;
  • 2èmement de juger en première et dernière instance des causes civiles dont la valeur excédait celles de 2 000 livres de Piémont, et les causes des privilégiés tels que celles concernant les pupilles, les mineurs, les veuves, etc. Ce moyen évitait les frais de justice antécédens, au cas où l’affaire eut été susceptible de l’appel ; cela n’empêchait pourtant pas que les juges ordinaires n’en pussent connaître, ce n’était qu’un privilège, employé par les parties qui voulaient en profiter. Il en était de même pour les affaires s’élevant au-dessus de la somme de 2 000 livres, les défendeurs ne pouvaient pas se soustraire aux juges ordinaires, lorsque les demandeurs les y avaient appelés ; les seules personnes privilégiées étaient reçues dans cette exception d’option ;
  • 3èmement le sénat était le dernier tribunal d’appel, dans toutes les causes civiles excédant 400 livres ;
  • 4èmement il révisait, confirmait ou annulait tous les jugements en matière criminelle ;
  • 5èmement chaque trois ans il envoyait un de ses membres dans les sièges de justices mages, pour tenir assises, et écouter les plaintes contre le juge mage.
  • 6èmement il confirmait les nominations de tous les juges de son département et nommait aux différents offices de justice, qui étaient de son ressort
  • 7èmement il entérinait, à la diligence de l’avocat fiscal général, tous les édits du souverain concernant son département et il avait le droit, d’après la Constitution de faire des remontrances après les avoir entérinés droit dont il n’y a pas d’exemple que le sénat de Nice ait jamais usé.

Quoique cour souveraine, en fait de justice, cependant il s’est présenté des cas, où l’on a appelé de ses décisions ; alors, on présentait requête au roi qui, s’il le jugeait convenable, renvoyait l’affaire au sénat de Turin ou à celui de Savoie, ou à celui de Nice même augmenté de quatre juges choisis parmi les avocats.

Auprès du Sénat étaient l’avocat fiscal général, chef de tout les fiscaux du département, l’avocat des pauvres, et tout l’appareil de justice d’un tribunal suprême.

Les sénateurs étaient nommés à Nice par le roi, et étaient amovibles ; ils avaient des appointements fixes de 1 200 livres, sans compter les épices, fixées par le tarif général.

Magistrat du commerce

Ce tribunal, analogue aux amirautés de France, était suprême ; il était composé du 1er Président du sénat, qui le présidait, de l’intendant qui le présidait en son absence, de deux sénateurs, de trois juges gradués, et de deux négociants, n’ayant que voix consultative, appelés consuls du commerce ; auprès de lui était un procureur général du commerce et un substitut.

Protomédicat

On peut ajouter à ces différents tribunaux le magistrat du protomédicat, qui avait un représentant dans toutes les provinces [illisible]

Tribunaux actuels

Tous ces différents tribunaux sont remplacés aujourd’hui par 22 juges de paix, répartis dans tout le département, dont deux à Nice ; par trois tribunaux de première instance, chargés aussi de la partie correctionnelle, avec leurs commissaires remplaçant les anciens avocats fiscaux, un tribunal criminel et spécial, avec un commissaire du gouvernement, ayant trois substituts, magistrats de sûreté, pour la police correctionnelle dans les tribunaux de première instance ; un tribunal de police municipale, où le commissaire de police représente la partie publique, à Nice, et où les adjoints ou maires sont chargés des mêmes fonctions dans les autres communes ; enfin un tribunal de commerce à Nice, dont les juges sont nommés par les commerçants.

Le tribunal criminel et le tribunal spécial, siègent à Nice ; des tribunaux de première instance, le premier est à Nice, le second à Monaco, et le troisième au Puget. On sait que les juges qui les composent sont nommés immédiatement par le gouvernement. Il y a près les tribunaux criminel et spécial, une maison de justice pour la direction des prévenus de crimes et pour ceux qui sont condamnés à la réclusion, lesquels commencent à être employés à des travaux utiles ; près de chaque tribunal de première instance, il y a une maison d’arrêt ; toutes ces prisons réunissent la salubrité à la sûreté. Sauf celle du Puget qui a besoin de quelques réparations.

Il y a près ces divers tribunaux du département, des chambres de procureurs soit avoués et tout ce qui compose les officiers de justice. Les tribunaux de première instance vont en appel à Aix.
Le tribunal de commerce est composé de quatre juges et de deux suppléants, élus parmi les négociants. Il n’y a personne auprès de lui pour la partie publique.

De la quantité de la nature des procédures civiles et criminelles en 1790, et en l’an X

Esprit de chicane

Il y a eu de tout temps dans toutes les provinces, des communes disposées plus particulièrement que d’autres à plaider, en matière civile, ou impliquées plus fréquemment dans les procédures criminelles ; cet esprit de chicane étant né une fois, se propage par l’éducation, la peuplade y prend goût, on ne parle que de cela dans les veillées ou dans les assemblées, et elle est vraisemblablement entretenue dans cette disposition par ces gens oisifs qui, dans les villages, obtiennent la réputation d’avocat, comme ils le piquent d’avoir dans les villes celle de politique.
Telles étaient pour les rixes et les meurtres les communes de la Briga, Saorgio, Pigna, etc. et pour le civil, Peglia, Scarena, la vallée de la Vésubie ; et telles sont encore les vallées d’Entraunes, de Guillaumes et la ville et campagne de Nice, dont un seul juge de paix eu dans l’espace des six derniers mois qui viennent de l’écouter, jusqu’à 600 actes écrits, sans compter les contestations verbales.

Il m’a été impossible d’obtenir l’état comparatif des différentes procédures, soit parce que les registres du sénat ont été emportés, soit à cause de la différence d’organisation de l’ordre judiciaire ; on m’a pourtant assuré que malgré l’inclination de plusieurs communes à plaider, cependant les longs procès étaient plus rares qu’aujourd’hui, et que les différends se terminaient ordinairement ou par devant le baile, ou par les juges ordinaires, lors de leur accedit sur le lieu, sans aucune formalité d’enregistrement, sauf le papier timbré, dont la feuille ne coûtait que deux sous, et je n’ai pas de la peine à le croire, dans un pays ou les fortunes étaient si modiques, et où les demandes excédant 2 000 livres devaient être rares.

Cette facilité devait aussi favoriser l’esprit de chicane, et il devrait être moindre aujourd’hui, à raison des frais excessifs, des distances et des déplacements que les parties doivent éprouver pour se rendre au chef lieu du canton ; et effectivement, dans les petites communes, les habitants souffrent des dommages et des pertes, plutôt que de plaider, d’autant plus que la plus grande partie ignorent encore les nouvelles formes, et ce n’est que dans les grandes communes, où les circonstances ont multiplié les procès, notamment dans la ville de Nice, dont le tribunal civil juge lui seul plus d’affaires en trois mois, que ceux de Monaco et du Puget dans une année.

Ouverture des procédures civiles

Le code des lois civiles et criminelles de l’ancien gouvernement était si simple et si précis, que, malgré l’astuce des procureurs, il n’était pas aisé de multiplier les procès. Les changements des lois, en général, la vente et revente des biens nationaux, la nécessité des formalités de l’enregistrement des actes publics, de ceux sous seing privé, et des hypothèques ; l’omission de ces formalités, les lois des successions et surtout celle du 17 nivose, qui avait presque anéanti la faculté de tester, et qui appelait aux successions les ex moines, et même les filles mariées avant la révolution, lesquelles n’avaient droit qu’à la légitime, si elles n’étaient point dotées ; la loi du 22 septembre 1792, sur le divorce, lequel était prohibé par les lois locales ; toutes ces lois et autres, propres à favoriser les inclinations naturelles de l’homme à chercher ses intérêts ou à satisfaire ses penchants, ont multiplié à l’infini les demandes en justice, et les multiplieront encore pour longtemps, à cause surtout des actes simulés, auxquels la difficulté des lois nouvelles, et leur opposition aux anciennes habitudes du peuple ont donné lieu ; il faut ajouter que les émigrés rentrés, admis à l’exercice des droits de citoyens, multiplieront encore les demandes en justice, soit comme créanciers, soit comme débiteurs, de sommes surtout provenant de titres sous seing privé ; il faut y ajouter aussi ce qui n’est pas indifférent les dédales tortueux dont s’est enveloppée la chicane, dans un pays où elle est peu surveillée, et où il y a, en général, peu de lumières, et l’on croira facilement ce qui m’a été assuré par des juges de l’ancien et du nouveau régime, que le tribunal civil de Nice a un nombre de procès excédant du double, ceux qui existaient à la judicature mage, en 1790.

Procès criminels

Diverses peuplades de ce département ont toujours eu une tendance au brigandage ; d’autres allumaient des rixes avec la plus grande facilité, surtout celles qui sont dans le voisinage du Piémont et du pays de Gênes ; les habitants des contrées occidentales ont, au contraire, toujours été pacifiques et soumis aux lois ; rarement il en entrait en prison, de l’ancien régime, sauf pour contrebande, et au milieu même de ces dix années de bouleversement des choses, les vallées d’Entraunes, de Guillaumes, de l’Estéron et du Puget, n’ont produit aucun individu coupable de délits capitaux.

Cette tendance au brigandage, qui s’est toujours réveillée dans toutes les guerres, était entièrement assoupie dès que la paix paraissait, soit par la vigilance et la sévérité des lois qui punissaient de mort, le voleur comme l’assassin, soit par l’influence de la morale des doyens religieux : au point, qu’en 1790, on pouvait voyager partout, de jour comme de nuit, avec ou sans argent, sans craindre la moindre insulte ; à peine, dans le cours de trois ans, y avait-il une exécution à mort ; les procédures criminelles roulaient seulement sur les résultats des rixes et des provocations au meurtre, ainsi que sur les délits de contrebande. Le maximum des prisonniers, soit de Nice, soit de Sospello excédait rarement, à ce que l’on m’a assuré, le nombre de 10 à 12.

Les effets d’une guerre sanglante et d’une révolution terrible, durant laquelle la religion avait pris pour le commun des hommes une apparence de problème, furent de multiplier les procès et les délits, et de débrider cette tendance au brigandage, comprimée par des puissances contraires. J’ai déjà dépeint dans un autre endroit, la barbarie et la férocité que cette tendance produisit pendant les 10 années qui viennent de s’écouler ; je m’épargnerai le calcul du nombre de ces terribles brigants sous la hache de la justice ; jamais le sol de Nice et du département n’avaient été arrosé de sang de tant de criminels ; jamais autant de tribunaux, ni autant d’exécuteurs !

Nombre de détenus

Il y a eu dans les prisons de la maison de justice, jusqu’à 100 et plus de détenus ; l’état des écrous de l’an X et de l’an XI, est de 70 à 80 détenus à la fois.

Dans les maisons d’arrêt de Monaco et Puget-Théniers, le plus grand nombre des détenus a été de 13, il y en a habituellement 4 à 5 à Monaco, souvent aucun au Puget.

Le nombre de ces détenus dans la maison d’arrêt de Nice, pour la police correctionnelle et de sûreté, est habituellement de trente à quarante.

Il faut convenir, du reste, pour cette dernière qualité et quantité de détenus, que les délits correctionnels pour lesquels un homme est privé de sa liberté, avant d’être jugé, surtout dans cet exercice actif et peut-être trop multiplié de mandats de dépôt, du magistrat de sûreté, augmentent le nombre de ces prisonniers, sans déterminer aucun préjugé solide sur leur moralité.

Quelques observations sur des besoins de localité dans l’ordre judiciaire

Il est de fait que si l’homme riche ou astucieux se trouve aujourd’hui avoir de grandes facilités pour ? de procès, l’homme simple, pauvre et de bonne fois, est forcé d’abandonner la justice de sa cause, à cause des frais énormes et des déplacements qu’il faut faire pour exiger une modique somme légitimement due ; quant on pense, lorsqu’on a été sur les lieux, que pour la demande de 6 francs, par exemple, il faut faire une route de plusieurs heures, par des mauvais chemins, pour aller chercher un huissier à la résidence du juge de paix ; que cet huissier doit, à son tour marché plusieurs heures pour aller porter son exploit, et que de là ; il doit se rendre à la résidence du receveur de l’enregistrement pour le faire enregistrer, et qu’avant d’avoir justice, il faut faire ce chemin et cette dépense plusieurs fois, on n’est plus surpris que le père de famille perde ses droits, plutôt que de les solliciter à un si haut pris.

Ces difficultés pour obtenir justice, seraient propre à éteindre tout esprit de chicane dans un pays bien policé et où la bonne foi régnerait ; mais dans des contrées, où l’on a déjà dû voir que tout ce qui fortifie le lien social est en partie dissout, elles ne font qu’alimenter le vice, et le faire triompher de la vertu, qu’elle que soit la sagesse du législateur qui les a conçue et qui n’a pu prévoir toutes les exceptions exigées par les localités.

Convaincu de ces inconvénients qui donnent lieu chaque jour à des actes simulés et à des billets sous seing privé et sur papier simple, sources éternelles d’une immensité de procès et de haines, je n’ai pu me refuser aux vœux unanimes de toutes les communes qui m’ont prié de coucher par écrit les demandes suivantes.

  • 1èrement L’établissement d’une autoroute judiciaire quelconque, dans chaque commune, et sans aucun traitement, qui eut les mêmes attributions que les justices de paix, jusqu’à 50 francs, afin que chaque citoyen put trouver une justice prompte, moyennant quelques modiques rétributions, déterminées par un tarif.
  • 2èmement Faculté à l’huissier y attaché de faire des assignations verbales, de quoi tout mention serait purement faite dans le décret, et le tout exempt de la formalité de l’enregistrement.
  • 3èmement Augmentation d’attribution aux juges de paix, et si on laisse aux citoyens la nomination de ces fonctionnaires, déterminer qu’ils ne pourront être pris que parmi les hommes de lois, ou parmi ceux dont les connaissances approximatives à cet état fussent généralement connues ; on pourrait alors réduire à un seul, les tribunaux d’arrondissement.
  • 4èmement Augmentation du nombre des membres du tribunal civil du chef lieu du département, pour hâter la prompte expédition des affaires, et que ce tribunal fut déchargé des fonctions correctionnelles car d’un côté, celles-ci embarrassent le tribunal, et de l’autre ; elles doivent éprouver du retard, tandis qu’il est dans la nature de la police correctionnelle, que la punition qu’elle quelle soit, soit prompte et active.
  • 5èmement Pour que cette police fut active, (et l’on en a un grand besoin dans ce département), l’établissement d’un magistrat ad hoc qui ne ressortit point du tribunal civil, et dont les fonctions fussent de plus longue durée.

Tels seraient de l’avis des gens et sensés, les moyens que l’état des choses paraîtraient désirer, pour améliorer l’exécution de la justice distributive dans ce pays, et pour la garantie des personnes et des propriétés.